Indret : Une fonderie de canons ( 1777 - 1828 )



Administration de la fonderie




Lorsque de Sartines décidera « de former dans les environs de Nantes un établissement pour faire couler des canons  », il en confiera la responsabilité à William Wilkinson, « habile fondeur anglois » qui avait mis au point un nouveau système révolutionnaire de coulée des métaux et qui s'était engagé par ailleurs «  à procurer à nos ouvriers les connoissances nécessaires pour travailler avec succès d'après ses principes ». Ce dernier aura donc le titre de régisseur de la nouvelle implantation, il assumera la responsabilité des plans et de tous les travaux de réalisation des ouvrages à effectuer et donc la direction de la fonderie. Il recevra une somme forfaitaire de 120 000 livres pour l'exécution de son contrat contrairement à ce que l'on trouve généralement sur les écrits concernant cette époque. Voir les deux derniers alinéas du paragraphe 5 de la page "Pourquoi Indret". Cette somme forfaitaire proposée par le Ministre après négociations, l'incita vraisemblablemennt à aller voir d'autres horizons puisque son séjour en terre indretoise fut de courte durée. En effet, dès avril 1780, le Ministre signera un contrat pour l'exploitation de la fonderie avec de Wendel et qu'il en avisera Wilkinson pour que celui-ci cesse ses fonctions à compter du 1er janvier 1781. La mission du premier régisseur d'Indret qui consistait à implanter un nouveau moyen moderne de fabrication était terminée. Néanmoins, il continuera ses activités sur notre sol, notamment à Montcenis pour créer l'usine du Creusot.




Toufaire est né à Châteaudun, paroisse de Saint Lubin, le 14 décembre 1739 et décédera à Port La Montagne (nom de Toulon durant la Révolution), rue de l'égalité le 17 fructidor An II (3 septembre 1793). Sa venue dans la région nantaise lui vaudra de connaître sa future épouse Rose-Louise Faugas, fille d'un capitaine de navire vivant à Nantes. Leurs noces seront célébrées à St Mars du Désert le 7 mars 1780.

S'il ne fut jamais dirigeant de la fonderie d'Indret, il en fut toutefois le réalisateur, car appelé après le limogeage de Magin, ce fut lui qui supervisa les travaux après en avoir dessiné les plans et rédigé les devis.

C'est le 13 septembre 1777 que de Sartines annonce dans un courrier qu'il va nommer Toufaire. «  je lui recommande de se concerter avec vous et avec le sieur Wilkinson dont les lumières pourront lui être utiles. Si lors de son arrivée à Nantes, le sieur Magin n'en est pas encore parti, il faudra que le sieur Toufaire ne se fasse pas connoître, afin de ménager la sensibilité du premier qui ne peut qu'être très mortifié de n'avoir pas répondu à la confiance que j'avais dans ses talents  ». Toufaire était à Bordeaux lorsqu'il reçut l'ordre de se rendre à Indret, Moins d'une semaine après il était sur place où il rencontrait Wilkinson. Il rejoignit le point de vue de Wilkinson sur l'implantation de la forerie et rendit compte très rapidement au ministre de ses premières impressions puisque ce dernier par courrier du 13 octobre en avertit le commissaire de la marine à Nantes.

Toutefois il recherchera par la suite d'autres emplacements possibles pour cette implantaion (Basse-Indre, Barbin, Canal de Vue, Paimbœuf) pour revenir à placer la forerie en tête de la grande digue réunissant Indret à sa rive sud, conformément à la volonté de Wilkinson.

Il se mit immédiatement à l'œuvre, fit les relevés de l'île où certaines constructions avaient déjà été commencées, s'informa des projets de Wilkinson et de Magin. Devant le retard pris par la forerie comparativement aux autres bâtiments de la fonderie, Toufaire proposera de réaliser un manège à chevaux pour forer les canons bien qu'au départ le Ministre ait été hostile à cette solution. Les plans de ce manège furent approuvés par le ministre le 6 février 1778. Quant à ceux de la forerie hydraulique, ce n'est que le 11 mai 1778 que le ministre écrira « J'ai reçu la boëte de fer blanc que vous m'annoncez contenant les plans et devis du nouveau projet du sieur Toufaire pour la construction du moulin à forer. J'ai approuvé ces plans et je vous les renvoye pour les faire exécuter ».

Plusieurs incidents eurent lieu durant cette installation notamment lors de la coulée de la grande roue en fonte qui dut être reprise à trois fois. Finalement ce ne sera que le 29 octobre 1778 qu'elle put tourner. En janvier 1779, la forerie était enfin opérationnelle.



La famille de Wendel d'Hayange originaire de Bruges et installée par la suite à Coblence eut de nombreux maîtres de forge parmi ses membres. Ignace de Wendel (1741 - 1795), « cet officier dont je connois les talents » mentionne le Ministre, est capitaine au Corps royal d'artillerie en 1780. Il est appelé à prendre la suite de Wilkinson qui a mis en place les bases de la nouvelle fonderie. Le 7 avril de cette année, il signe donc un marché valable pour 15 ans afin de prendre la direction de la fonderie d'Indret.

Quelques retards surviendront dans cette prise de fonction puisque «  j'ai décidé que le sieur Wendel sera chargé par régie de l'exploitation de cette fonderie jusqu'à ce que tous les différents établissements, ainsi que les modèles et les chassis soient finis, afin que les arrangements qu'il y aura à faire lorsqu'il devra s'en charger par entreprise soient plus aisés et moins compliqués ». Il en deviendra donc, non pas le régisseur comme son prédécesseur, mais l'entrepreneur. C'est-à-dire qu'il n'aura que la fabrication des bouches à feu. Le contrat fixe les conditions de cette entreprise.

Ainsi :

l'entretien des digues, écluses, bâtiments restent à la charge de l'autorité royale, le reste étant de son ressort : outils, ustensiles, matières premières, canons déjà réalisés. Ils feront l'objet d'un inventaire détaillé, ce qui entraînera en fin de contrat des corrections de plus ou moins-value.

les vieilles fontes détenues par la Marine lui seront octroyées en priorité, les conditions de ces cessions sont également définies : «  je les paierai sur le pied de cinquante livres le millier de celles qui seront jugées bonnes à refondre pour faire des canons pour l'armement des vaisseaux du Roy » et « quarante livres le millier de celles dont l'emploi me sera interdit pour le service du Roy ».

De Wendel aura la faculté de travailler sous condition pour le commerce mais il reste entendu que cette activité annexe ne pourra en aucun cas être prioritaire sur celle dévolue à la Marine. En outre, il devra reverser « au Roy vingt sols par quintal des canons et autres ouvrages qui ne seront pas destinés pour la Marine Royale ».

Le Roi, estimant qu'il avait fait les efforts nécessaires pour implanter cette fonderie, ne souhaite plus investir. De Wendel sera donc autorisé à construire d'autres hauts fourneaux si la nécessité s'en fait sentir pour l'exploitation des lieux. Il en restera propriétaire durant les 15 années et « il lui sera accordé par chaque canon reconnu propre au service, seize livres par quintal ».

Si la Marine éprouve le besoin d'approvisionner des «  mortiers, d'obusiers, Pierriers, bombes, boulets, grenades et autres ouvrages de fonte de fer » de Wendel prend également l'engagement de respecter ces commandes.

Le transport des canons dans les différents ports reste à sa charge et à ses risques. Il est malgré tout prévu une clause qui le libère en «  cas de prise par les ennemis de l'Etat » et qui lui assure le remboursement du préjudice suivant une tarification établie.

Enfin il faut remarquer que si la fonderie n'est toujours pas devenue une manufacture royale - il faudra attendre encore un an pour cela - certaines clauses du contrat montrent une similitude avec leurs prérogatives.
- « Les ouvriers employés à la Manufacture seront exempts du tirage de la Milice et jouiront de tous les autres privilèges qui sont accordés à ceux des autres Manufactures Royales ».
- « Toutes les matières qui seront nécessaires pour alimenter la fonderie, ainsi que celles qui seront fabriquées pour le service du Roy jouiront de l'exemption de tous les droits, excepté celui de la marque des fers ».

De Wendel restera jusqu'à l'an II de la République mais il nommera en fait :
Rambourg, originaire comme lui de Lorraine, comme directeur de cette fonderie qui quittera ses fonctions pour aller créer les forges de Tronçais en plein cœur de la forêt du même nom (au centre de la France).
M. de La Mothe qui restera en fonction jusqu'à la fin de son mandat.



Voir ses origines sur notre page spéciale.

Demangeat signera son premier contrat le 26 Germinal An II ( 15 Avril 1794 ). Il sera nommé provisoirement régisseur par un arrêté des représentants du Peuple de l'armée de l'Ouest moyennant un traitement annuel de 3 500 livres.

Il bénéficiera de toute l'infrastructure mise en place durant les années précédentes ainsi que des ateliers de Moisdon, ces derniers ayant la charge d'approvisionner en fontes neuves. Mais également :

L'administration lui fournira des quantités très importantes de fontes de qualité comme stock de démarrage et en cas d'insuffisance, il se réserve le droit de les approvisionner lui-même, de même l'approvisionnement du charbon lui est assuré. Les clauses d'achat mentionnent qu'il remboursera ces produits sur des bases avantageuses : « les fontes au maximum fixé sur les lieux avec les frais de transport jusqu'à Rochefort seulement d'où elles seront rendues à Indret aux frais périls et risques de la République ». Quant au charbon de terre « quel que soit le lieu d'où ils seront tirés, ils me seront rendus à Indret au même prix que ceux que je tirerais de Montrelais ».

Les réparations et remises en état des bâtiments, ateliers et matériels de l'établissement ainsi que ceux des forges de Moisdon demeurent sous sa responsabilité mais restent à la charge de la République. Il doit également implanter « une pompe à feu et une étuve pour améliorer la cuisson des moules ». Toutefois après réalisation de ces travaux, leur entretien restera à sa charge, la République n'intervenant que dans les cas de très grosses réparations.

Les livraisons sont définies puisqu'il s'« oblige à fournir à la République par mois quatre vingt bouches à feu dont trente du calibre 36, trente du calibre de 18 ou 24 et vingt de 12, 8, 6 ou 4  ».

Il est responsable de ses fabrications et à ce titre après épreuves « les objets rebutés seront pour [son] compte sans qu' [il] puisse prétendre à aucune indemnité  ».

Pour lui permettre de remplir ses engagements, tous les ouvriers d'Indret et de Moisdon seront mis en réquisition mais il s'engage pour cela « à leur fixer des traitements tels qu'ils ne puissent avoir aucun sujet de plainte ».

La Révolution traverse en ce moment une passe difficile et les approvisionnements de subsistance pêchent parfois. Cet état de fait nuit au bon déroulement des usines aussi est-il prévu dans son contrat : «  l'administration de la grosse artillerie prendra toutes les mesures convenues pour assurer la subsistance des ouvriers et obtenir même s'il est possible qu'ils soient traités quant au pain comme les soldats de la patrie ; m'engageant au remboursement des fournitures qui leur auroient été faites, par une retenue sur leur paye ».

Et surtout pour garantir son contrat le dernier article prévoit que : « ,pour assurer à la République l'exécution du présent traité, j'y affecte tous mes biens présents et à venir ».

Plusieurs contrats furent ensuite signés pour des durées variables qui menèrent Demangeat à la tête de la manufacture jusqu'en 1815. Des évolutions dans ceux-ci se firent sentir notamment dans les conditions de livraisons des matières premières et des conditions de tarifications pour les livraisons effectuées mais également dans l'utilisation faite tant des fonderies d'Indret que celle de Moisdon.

Ainsi le 19 Floréal An VI ( ou 08 Mai 1798 ) , il est spécifié : «  Je jouirai de la fonderie d'Indret sous la simple obligation d'y travailler pour la marine mais pour prix du fermage des forges de Moisdon et dépendances [...] je livrerai chaque année à mes frais dans les magasins de la marine à Nantes un million pesant de fontes en lest pour vaisseaux ; au moyen de cette condition, je serai libre de disposer pour mon compte du surplus du produit des dites forges et de leurs dépendances  ». Et il est mentionné dans l'article suivant pour que les choses soient bien claires que : « Il me sera également libre de travailler à Indret pour le commerce toutes les fois qu'il ne pourra en résulter aucun retard pour les commandes qui me seront faites par la marine  ... ». Il ne se privera pas de bénéficier de cette clause mais il n'a pas que des amis parmi les responsables départementaux. Cela va déclencher une sombre affaire que nous développons par ailleurs ( Voir notre page spéciale Demangeat).

Durant les 20 années qu'il restera à la tête de la fonderie il travaillera avec son frère qui remplira les fonctions de directeur et qui le secondera fortement.

En 1814, il sent le pouvoir napoléonien ébranlé et se retirera. Mais il faut noter également que bien que le pays soit en période de conflit, Indret voit sa production péricliter.



Au 1er janvier 1815, c'est Petit qui prendra la direction de la fonderie d'Indret. Mais Indret ne sera plus une entreprise telle qu'elle existait auparavant. Car Petit est Inspecteur en résidence sur les lieux et la fonderie sera donc désormais exploitée directement par les services de la Marine : « la fonderie, les approvisionnements et tout ce qui en dépendra devront être confiés jusqu'à nouvel ordre et sous la surveillance de M. Petit, Inspecteur en résidence au contrôleur qui fera alors les fonctions de garde-magasin ». La fonderie amorcera alors un déclin dont elle ne pourra se relever.

Un état des personnels affectés à Indet le 14 mai 1816 nous est parvenu, il ne fait mention que de ... 27 personnes :

Petit

Romme
Victor Léonard
Baptiste Villers
René Moulin
Arnold Baquet
René Francis Bignon
Julien Vernazeau
Baptiqte Léonard
Léonard
Davias
Herey
Mouillé
Prémont
Herey
Gervais
Lemoite
Bahon
Lebeaupin
Julien Bureau
Poisson
Fleury
Buhaud
Mendron
Gilles Maréchal
Herblin Doly
Louis Bougé
Capitaine au corps royal de l'artillerie de la marine, Chevalier de l'ordre royal de la légion d'honneur, Inspecteur de la dite fonderie. Capitaine au même corps Sous-Inspecteur
Maître fondeur
Aide Fondeur
Maître forgeron
Maître foreur, chargé de la surveillance des machines à feu
Maître ajusteur
Maître maçon
Mouleur
Mouleur
Chauffeur
Chauffeur
Chauffeur
Foreur
Foreur
Foreur
Foreur
Forgeron
Serrurier
Tourneur
Charpentier
Canonnier
Canonnier
Perceur de lumières
Maçon
Vétérinaire
Bouvier
Palefrenier

Ce déclin obligera la fonderie à disparaître en 1828 et à changer de statut. Elle deviendra alors manufacture de machines à vapeur et aura pour mission la conception, la réalisation et les essais des appareils propulsifs des bâtiments de la Marine Nationale, mission qu'elle assumait jusqu'au début du XXI° siècle en tant qu'établissement d'état.