Lorsque de Sartines décidera « de former dans les environs de Nantes un établissement pour faire couler des canons », il en confiera la responsabilité à William Wilkinson, « habile fondeur anglois » qui avait mis au point un nouveau système révolutionnaire de coulée des métaux et qui s'était engagé par ailleurs « à procurer à nos ouvriers les connoissances nécessaires pour travailler avec succès d'après ses principes ». Ce dernier aura donc le titre de régisseur de la nouvelle implantation, il assumera la responsabilité des plans et de tous les travaux de réalisation des ouvrages à effectuer et donc la direction de la fonderie. Il recevra une somme forfaitaire de 120 000 livres pour l'exécution de son contrat contrairement à ce que l'on trouve généralement sur les écrits concernant cette époque. Voir les deux derniers alinéas du paragraphe 5 de la page "Pourquoi Indret". Cette somme forfaitaire proposée par le Ministre après négociations, l'incita vraisemblablemennt à aller voir d'autres horizons puisque son séjour en terre indretoise fut de courte durée. En effet, dès avril 1780, le Ministre signera un contrat pour l'exploitation de la fonderie avec de Wendel et qu'il en avisera Wilkinson pour que celui-ci cesse ses fonctions à compter du 1er janvier 1781. La mission du premier régisseur d'Indret qui consistait à implanter un nouveau moyen moderne de fabrication était terminée. Néanmoins, il continuera ses activités sur notre sol, notamment à Montcenis pour créer l'usine du Creusot.
Toufaire est né à Châteaudun,
paroisse de Saint Lubin, le 14 décembre 1739 et décédera à Port La Montagne
(nom de Toulon durant la Révolution), rue de l'égalité le 17 fructidor An II
(3 septembre 1793). Sa venue dans la région nantaise lui vaudra de connaître sa
future épouse Rose-Louise Faugas, fille d'un capitaine de navire vivant à
Nantes. Leurs noces seront célébrées à St Mars du Désert le 7 mars 1780.
S'il ne fut jamais dirigeant de la fonderie d'Indret, il en fut toutefois le
réalisateur, car appelé après le limogeage de
Magin, ce fut lui qui supervisa les travaux après en avoir dessiné les plans et
rédigé les devis.
C'est le 13 septembre 1777 que de Sartines annonce dans un courrier qu'il va
nommer Toufaire. « je lui recommande de se
concerter avec vous et avec le sieur Wilkinson dont les lumières pourront
lui être utiles. Si lors de son arrivée à Nantes, le sieur Magin n'en est
pas encore parti, il faudra que le sieur Toufaire ne se fasse pas connoître,
afin de ménager la sensibilité du premier qui ne peut qu'être très mortifié
de n'avoir pas répondu à la confiance que j'avais dans ses talents
». Toufaire était à Bordeaux lorsqu'il reçut l'ordre de se rendre à
Indret, Moins d'une semaine après il était sur place où il rencontrait
Wilkinson. Il rejoignit le point de vue de Wilkinson sur l'implantation de la
forerie et rendit compte très rapidement au ministre de ses premières
impressions puisque ce dernier par courrier du 13 octobre en avertit le
commissaire de la marine à Nantes.
Toutefois il recherchera par la suite d'autres emplacements possibles pour
cette implantaion (Basse-Indre, Barbin, Canal de Vue, Paimbœuf) pour
revenir à placer la forerie en tête de la grande digue réunissant Indret à
sa rive sud, conformément à la volonté de Wilkinson.
Il se mit immédiatement à l'œuvre, fit les relevés de l'île où
certaines constructions avaient déjà été commencées, s'informa des projets
de Wilkinson et de Magin. Devant le retard pris par la forerie comparativement
aux autres bâtiments de la fonderie, Toufaire proposera de réaliser un manège
à chevaux pour forer les canons bien qu'au départ le Ministre ait été hostile à cette
solution. Les plans de ce manège furent approuvés par le ministre le 6
février 1778. Quant à ceux de la forerie hydraulique, ce n'est que le 11 mai
1778 que le ministre écrira « J'ai reçu la boëte
de fer blanc que vous m'annoncez contenant les plans et devis du nouveau
projet du sieur Toufaire pour la construction du moulin à forer. J'ai
approuvé ces plans et je vous les renvoye pour les faire exécuter ».
Plusieurs incidents eurent lieu durant cette installation notamment lors de
la coulée de la grande roue en fonte qui dut être reprise à trois fois.
Finalement ce ne sera que le 29 octobre 1778 qu'elle put tourner.
En janvier 1779, la forerie était enfin opérationnelle.
La famille de Wendel d'Hayange originaire de Bruges et
installée par la suite à Coblence eut de nombreux maîtres de forge parmi ses
membres. Ignace de Wendel (1741 - 1795), « cet officier dont je
connois les talents » mentionne le Ministre, est capitaine au
Corps royal d'artillerie en 1780. Il est appelé à prendre la suite de
Wilkinson qui a mis en place les bases de la nouvelle fonderie. Le 7 avril
de cette année, il signe donc un marché valable pour 15 ans afin de prendre
la direction de la fonderie d'Indret.
Quelques retards surviendront dans cette prise de fonction puisque «
j'ai décidé que le sieur Wendel sera chargé par régie de l'exploitation
de cette fonderie jusqu'à ce que tous les différents établissements, ainsi
que les modèles et les chassis soient finis, afin que les arrangements qu'il
y aura à faire lorsqu'il devra s'en charger par entreprise soient plus aisés
et moins compliqués ». Il en deviendra donc, non pas le
régisseur comme son prédécesseur, mais l'entrepreneur. C'est-à-dire qu'il
n'aura que la fabrication des bouches à feu. Le contrat fixe les conditions
de cette entreprise.
Ainsi :
l'entretien des digues, écluses, bâtiments restent à la charge de
l'autorité royale, le reste étant de son ressort : outils, ustensiles,
matières premières, canons déjà réalisés. Ils feront l'objet d'un
inventaire détaillé, ce qui entraînera en fin de contrat des
corrections de plus ou moins-value.
les vieilles fontes détenues par la Marine lui seront octroyées en
priorité, les conditions de ces cessions sont également définies : «
je les paierai sur le pied de cinquante livres le millier de
celles qui seront jugées bonnes à refondre pour faire des canons pour
l'armement des vaisseaux du Roy » et « quarante
livres le millier de celles dont l'emploi me sera interdit pour le
service du Roy ».
De Wendel aura la faculté de travailler sous condition pour le
commerce mais il reste entendu que cette activité annexe ne pourra en
aucun cas être prioritaire sur celle dévolue à la Marine. En outre, il
devra reverser « au Roy vingt sols par quintal des canons et
autres ouvrages qui ne seront pas destinés pour la Marine Royale ».
Le Roi, estimant qu'il avait fait les efforts nécessaires pour
implanter cette fonderie, ne souhaite plus investir. De Wendel sera donc
autorisé à construire d'autres hauts fourneaux si la nécessité s'en fait
sentir pour l'exploitation des lieux. Il en restera propriétaire durant
les 15 années et « il lui sera accordé par chaque canon
reconnu propre au service, seize livres par quintal ».
Si la Marine éprouve le besoin d'approvisionner des «
mortiers, d'obusiers, Pierriers, bombes, boulets, grenades et autres
ouvrages de fonte de fer » de Wendel prend également
l'engagement de respecter ces commandes.
Le transport des canons dans les différents ports reste à sa charge
et à ses risques. Il est malgré tout prévu une clause qui le libère en «
cas de prise par les ennemis de l'Etat » et qui lui
assure le remboursement du préjudice suivant une tarification établie.
Enfin il faut remarquer que si la fonderie n'est toujours
pas devenue une manufacture royale - il faudra attendre encore un an pour
cela - certaines clauses du contrat montrent une similitude avec leurs
prérogatives.
- « Les ouvriers employés à la Manufacture seront exempts du
tirage de la Milice et jouiront de tous les autres privilèges qui sont
accordés à ceux des autres Manufactures Royales ».
- « Toutes les matières qui seront nécessaires pour alimenter la
fonderie, ainsi que celles qui seront fabriquées pour le service du Roy
jouiront de l'exemption de tous les droits, excepté celui de la marque des
fers ».
De Wendel restera jusqu'à l'an II de la République mais il nommera en fait :
Rambourg, originaire comme lui de Lorraine, comme directeur de cette fonderie qui
quittera ses fonctions pour aller créer les forges de Tronçais en plein cœur de
la forêt du même nom (au centre de la France).
M.
de La Mothe qui restera en fonction jusqu'à la fin de son mandat.
Voir ses origines sur notre page
spéciale.
Demangeat signera son premier contrat le 26 Germinal An II ( 15 Avril 1794 ).
Il sera nommé provisoirement régisseur par un arrêté des représentants du
Peuple de l'armée de l'Ouest moyennant un traitement annuel de 3 500
livres.
Il bénéficiera de toute l'infrastructure mise en place durant les années
précédentes ainsi que des ateliers de Moisdon, ces derniers ayant la charge
d'approvisionner en fontes neuves. Mais également :
L'administration lui fournira des quantités très importantes de
fontes de qualité comme stock de démarrage et en cas d'insuffisance, il
se réserve le droit de les approvisionner lui-même, de même
l'approvisionnement du charbon lui est assuré. Les clauses d'achat
mentionnent qu'il remboursera ces produits sur des bases avantageuses :
« les fontes au maximum fixé sur les lieux avec les frais de
transport jusqu'à Rochefort seulement d'où elles seront rendues à Indret
aux frais périls et risques de la République ». Quant au
charbon de terre « quel que soit le lieu d'où ils seront
tirés, ils me seront rendus à Indret au même prix que ceux que je
tirerais de Montrelais ».
Les réparations et remises en état des bâtiments, ateliers et
matériels de l'établissement ainsi que ceux des forges de Moisdon
demeurent sous sa responsabilité mais restent à la charge de la
République. Il doit également implanter « une pompe à feu et
une étuve pour améliorer la cuisson des moules ». Toutefois
après réalisation de ces travaux, leur entretien restera à sa charge, la
République n'intervenant que dans les cas de très grosses réparations.
Les livraisons sont définies puisqu'il s'« oblige à
fournir à la République par mois quatre vingt bouches à feu dont trente
du calibre 36, trente du calibre de 18 ou 24 et vingt de 12, 8, 6 ou 4
».
Il est responsable de ses fabrications et à ce titre après épreuves
« les objets rebutés seront pour [son] compte
sans qu' [il] puisse prétendre à aucune indemnité
».
Pour lui permettre de remplir ses engagements, tous les ouvriers
d'Indret et de Moisdon seront mis en réquisition mais il s'engage pour
cela « à leur fixer des traitements tels qu'ils ne puissent
avoir aucun sujet de plainte ».
La Révolution traverse en ce moment une passe difficile et les
approvisionnements de subsistance pêchent parfois. Cet état de fait nuit
au bon déroulement des usines aussi est-il prévu dans son contrat : «
l'administration de la grosse artillerie prendra toutes les
mesures convenues pour assurer la subsistance des ouvriers et obtenir
même s'il est possible qu'ils soient traités quant au pain comme les
soldats de la patrie ; m'engageant au remboursement des fournitures qui
leur auroient été faites, par une retenue sur leur paye ».
Et surtout pour garantir son contrat le dernier article prévoit que :
« ,pour assurer à la République l'exécution du présent traité,
j'y affecte tous mes biens présents et à venir ».
Plusieurs contrats furent ensuite signés pour des durées
variables qui menèrent Demangeat à la tête de la manufacture jusqu'en 1815.
Des évolutions dans ceux-ci se firent sentir notamment dans les conditions
de livraisons des matières premières et des conditions de tarifications pour
les livraisons effectuées mais également dans l'utilisation faite tant des
fonderies d'Indret que celle de Moisdon.
Ainsi le 19 Floréal An VI ( ou 08 Mai 1798 ) , il est spécifié : «
Je jouirai de la fonderie d'Indret sous la simple obligation d'y
travailler pour la marine mais pour prix du fermage des forges de Moisdon et
dépendances [...] je livrerai chaque année à mes frais dans
les magasins de la marine à Nantes un million pesant de fontes en lest pour
vaisseaux ; au moyen de cette condition, je serai libre de disposer pour mon
compte du surplus du produit des dites forges et de leurs dépendances
». Et il est mentionné dans l'article suivant pour que les choses
soient bien claires que : « Il me sera également libre de
travailler à Indret pour le commerce toutes les fois qu'il ne pourra en
résulter aucun retard pour les commandes qui me seront faites par la marine
... ».
Il ne se privera pas de bénéficier de cette clause mais il n'a pas que des
amis parmi les responsables départementaux. Cela va déclencher une sombre
affaire que nous développons par ailleurs ( Voir notre page spéciale
Demangeat).
Durant les 20 années qu'il restera à la tête de la fonderie il travaillera
avec son frère qui remplira les fonctions de directeur et qui le secondera
fortement.
En 1814, il sent le pouvoir napoléonien ébranlé et se retirera. Mais il faut
noter également que bien que le pays soit en période de conflit, Indret voit
sa production péricliter.
Au 1er janvier 1815, c'est Petit qui prendra la direction
de la fonderie d'Indret. Mais Indret ne sera plus une entreprise telle
qu'elle existait auparavant. Car Petit est Inspecteur en résidence sur les
lieux et la fonderie sera donc désormais exploitée directement par les
services de la Marine : « la fonderie, les approvisionnements et
tout ce qui en dépendra devront être confiés jusqu'à nouvel ordre et sous la
surveillance de M. Petit, Inspecteur en résidence au contrôleur qui fera
alors les fonctions de garde-magasin ». La fonderie amorcera
alors un déclin dont elle ne pourra se relever.
Un état des personnels affectés à Indet le 14 mai 1816 nous est parvenu, il
ne fait mention que de ... 27 personnes :
Ce déclin obligera la fonderie à disparaître en 1828 et à changer de statut. Elle deviendra alors manufacture de machines à vapeur et aura pour mission la conception, la réalisation et les essais des appareils propulsifs des bâtiments de la Marine Nationale, mission qu'elle assumait jusqu'au début du XXI° siècle en tant qu'établissement d'état.