Indret : Une fonderie de canons ( 1777 - 1828 )



Indret avant 1777




Si l'on excepte la venue sur l'île d'Indret de Saint Hermeland, aucun renseignement ne nous est parvenu sur les siècles suivants. Il faudra attendre le XV° pour savoir que le château qui existait à l'époque appartenait au duc Jean V de Bretagne et qu'il y avait un métayer chargé de le gérer. Nous sommes alors en 1420.

Babron, dans un ouvrage qu'il édita à la fin des années 1860 écrit à propos de ce château : « en 1594, il était dans un tel état de vétusté que le duc de Mercœur dut le faire rebâtir. Depuis cette époque, il a subi, à différentes reprises, surtout de 1777 à 1826, tant de réparations importantes, soit en agrandissements, soit en modifications, qu'il a perdu en grande partie son antique physionnomie. Ses quatre tourelles, qu'il a conservées, ont elles-mêmes été modifiées ; elles avaient jadis des meurtrières à divers étages. De plus, il était entouré de fossés, et n'était accessible que par un pont-levis placé au-dessous de la façade Est. Cette façade était défendue, de même que les côtés Nord et Sud, par des machicoulis. C'est en 1828 qu'on a supprimé le pont-levis et comblé les fossés. Sur la terrasse, c'est-à-dire du côté Est, il y avait un monticule assez élevé, où, paraît-il, existait une fugue. Cette élévation a servi en 1815, à faire un fort armé de deux canons de gros calibre ».



Durant les périodes qui vont s'ensuivre, ce château passera en de nombreuses mains, c'est ainsi que 28 ans plus tard, le duc transférera à Marguerite d'Orléans, comtesse d'Etampes et de Vertou les seigneureries de l'île et du château. D'autres jouissances seront ensuite accordées à différents hauts personnages mais c'est surtout :

le duc de Mercœur
Louis Duplessis
Abraham Duquesne

dont la mémoire populaire se souvient.

a) le Duc de Mercœur :

Duc de Mercoeur

Il obtint la jouissance du château en 1588 moyennant redevances et fit relever le château de 1594 à 1595 alors que celui-ci tombait en ruines. Babron, au milieu du XIX° siècle écrivait : « Il se plaisait beaucoup dans cette résidence ; il aimait à visiter l'ermitage de Saint-Hermeland, pour lequel il avait une grande dévotion ; il y restait fréquemment de longues heures en prières, quoiqu'il eut une chapelle contiguë à son château. On raconte qu'il faillit être victime de ses visites à l'ermitage. Chef de la Ligue en Bretagne, il était en rébellion contre Henri IV et en luttes constantes avec les royalistes, qui conçurent en 1597, le dessein de s'emparer de sa persone. C'était le fameux Duplessis-Mornay, confident du roi, qui, après s'être concerté avec son maître, par l'entremise de la dame de Kerveno, devait exécuter le projet médité contre le duc de Mercœur. Il se proposait de l'enlever lorsqu'il serait à l'oratoire de Saint- Hermeland, et de le remettre entre les mains d'un capitaine nommé Salinière et du fils de ce dernier, qui se seraient chargés de le jeter dans une chaloupe et de le mener prisonnier à Beauvoir, petite ville de Vendée. Mais le duc, ayant découvert à temps le coup qui le menaçait, prit les mesures nécessaires pour le déjouer ».

b) Louis Duplessis :

Chevalier et sieur de Genouville, l'île lui appartiendra jusqu'en 1642. Dans la partie est de cette île, le roi y faisait construire des vaisseaux. Le lieu se prêtant bien à cette activité, le roi se décida à en acquérir la totalité, ce qu'il fit par acte en date du dernier jour de l'année. Duplessis en contrepartie se vit attribuer d'autres biens dans la région. Il fut donc, en principe, le dernier propriétaire non royal à disposer des biens d'Indret bien que Duquesne durant quelques années put en jouir par la suite.

c) Abraham Duquesne :

Huit ans plus tard, Anne d'Autriche, reine de France donnera à ce futur lieutenant-général des armées de mer de France, originaire de Dieppe, la terre et le château d'Indret en remerciement de ses bons et loyaux services. En effet, Duquesne avait armé à ses frais, une flotte qui avait combattu le prince de Condé et amené à la reddition de son "gouvernement" de Bordeaux. A. Caillot écrira en 1843 : « En 1650, les Espagnols armèrent des vaisseaux pour contenir les habitants de Bordeaux, qui s'étaient révoltés. La marine française, presque nulle, ne pouvait s'opposer à leur projet. Duquesne, persuadé que la patrie exige tous les sacrifices, n'hésite pas, dans cette circonstance, à armer plusieurs vaisseaux à ses frais, et à aller au-devant des Espagnols. Dans sa route, il rencontre une flotte anglaise ; le commandant le fait sommer de baisser pavillon : il lui répond que le canon en décidera. Le combat commence, et la victoire reste aux Français.

Duquesne avait été blessé et ses vaisseaux avaient besoin de réparations. Il se rendit à Brest, sans perdre de temps, pour les faire radouber. Avant même d'être guéri, il remit à la voile sitôt que les travaux furent terminés. Arrivé dans l'embouchure de la Gironde en même temps que les Espagnols, il leur en ferma l'entrée, et obligea la ville de Bordeaux à capituler
».


Hormis ce château, il existait sur l'île :

A proximité immédiate, une « orangerie » qui existe toujours bien qu'elle ait connu des affectations différentes (menuiserie du temps de la fonderie, puis infirmerie pendant une bonne partie du XX° siècle). Cette orangerie est plus connue actuellement, sous le nom de « bâtiment de l'horloge ». Située juste à côté du château, elle nécessita, elle aussi, avant la mise en place de la fonderie un minimum d'entretien notamment au niveau de sa toiture puisque en 1749, 850 livres durent y être consacrées. Sa principale caractéristique architecturale réside dans sa charpente en forme de carène renversée de navire.

une chapelle située au nord-est du château servait pour les offices des résidents. C'est sur l'emplacement de cette chapelle que sera construite par la suite une boulangerie qui appartiendra à Jean Violin, dernier maire de St Jean de Boiseau avant la scission avec La Montagne et futur premier maire de cette nouvelle commune. C'est encore à cet emplacement que sera édifiée une maison d'habitation réservée aux Sous- Directeurs pendant le XX° siècle.

un moulin beaucoup plus à l'ouest. Ce moulin est toujours en activité pendant le XVIII° et le début du XIX°. Il est affermé à des particuliers qui l'exploitent. A partir de 1818, le fermier juge son loyer trop élevé. Ce montant, 135,00 F par an, est reversé à la Caisse des Invalides. En 1824, les administrateurs envisagent sérieusement de changer le mode d'attribution qui se passait de gré à gré pour s'orienter vers des enchères publiques ou soumissions cachetées. Ce moulin « est peu employé et d'un faible produit pour le fermier, il n'y a qu'un malheureux presque sans ressource comme le nommé Guilbaud qui puisse se charger d'un pareil fermage ». Finalement, celui-ci ne sera plus loué que pour une somme de 120,00 F. En 1828, Gengembre, chargé de la création de la manufacture royale de machines à vapeur qui doit remplacer la fonderie écrit dans son premier rapport : « Le moulin à vent (38) du plan général est loué en ce moment 120 F qui sont versés dans la caisse du Domaine par les motifs ci-dessus exposés, le bail relatif à cette location qui expire au 1er avril prochain ne devra pas être renouvelé. Ce moulin pourra servir à broyer le charbon qui entrera dans les travaux de moulage ».

l'oratoire de St Hermeland avec son architecture si typique, deux tours accolées et revêtues d'un parement de pierres saillantes. La tradition locale veut que ce soit Hermeland qui ait fait bâtir cet édifice. Une légende prétend, elle, que cette construction est due à St Martin de Vertou mais que cette bâtisse était dans un tel état de décrépitude quand Hermeland y vint qu'il la fit refaire. Il est plus vraisemblable d'octroyer cette construction au duc de Mercœur qui l'aurait fait aménager pour bénéficier d'un lieu de détente sur l'île au sein d'un parc paysager. L'édifice est conçu pour pouvoir monter sur sa toiture et bénéficier d'un point de vue sur toute l'île et ses environs. Cet oratoire connaîtra plusieurs modifications puisqu'il devint de 1828 à 1845 une maison d'habitation pour des gardiens. Durant la période révolutionnaire en 1793 et ensuite en 1815, lorsque l'on se mit à craindre la recrudescence de mouvements vendéens, des canons furent même implantés sur sa toiture et autour pour protéger l'île. Ce n'est qu'à partir de 1845 que cet édifice fut rendu au culte après que des réparations furent effectuées.

un chantier de constructions navales avec quelques logements. Un garde-magasin y demeurait en permanence pour la surveillance du dépôt de bois mais aussi pour celle de l'île et du chantier. C'est ainsi que plusieurs frégates y virent le jour mais également des transports de matériels de 200 tonneaux.

un colombier et les ruines d'un petit belvédère.







En 1777, alors que la France manque cruellement de canons pour sa flotte, de Sartine, Ministre de la Marine décide d'implanter à Indret, sur les bords de la Loire à quelques dizaines de kilomètres de l'embouchure de ce fleuve, et à 10 kilomètres en aval de Nantes une fonderie royale de canons.

Mais cette décision ne se prit pas de suite. En mars 1777, de Serval est nommé pour assister Wilkinson qui est chargé de cette implantation. Sitôt nommé, il se montrera prêt à rejoindre la région nantaise mais « il propose donc de ne se rendre à Nantes qu'après que l'acquisition du terrain propre aux établissements projetés aura été faite et que les plans des bâtiments à exécuter auront été dressés et envoyés ici ». A la mi-avril, Wilkinson a déjà visité les premiers sites dont Indret.

Le choix fût vite effectué puisque dès le 2 mai, le Ministre nous informe que ses prospecteurs se sont assurés que « cette isle est le lieu le plus convenable pour les opérations qu'il doit entreprendre [...] et qu'ils sont ocupés à dresser les plans et le devis des établissements qui doivent être faits ».



Incontestablement, c'est la Loire qui tint le premier rôle dans ce domaine.
La Loire est la charnière qui relie les régions du centre de la France où l'on trouve mines, charbons et autres produits nécessaires pour la fonte nécessaire à la fabrication des canons.
Ruelle, autre fonderie dépendant de la Marine est déjà implantée un peu plus au sud et permet le transport de ses produits par la Charente. De là, l'embouchure de la Loire n'est que très peu éloignée pour rejoindre Indret.
Ce fleuve va pouvoir procurer l'énergie nécessaire pour assurer le forage des canons.
Il s'agit de couler des canons parfois fort lourds (environ 3,5 T pour un canon de 36), il est donc essentiel de prévoir des moyens de transport aussi aisés que possible pour pouvoir approvisionner les différents ports. Or les navires de transport maritime remontent jusqu'à Indret et même au delà jusqu'à Nantes, c'est donc une position géographique idéale sur ce point d'autant qu'Indret est bien centré par rapport à Brest, Lorient ou Rochefort.. La Loire devient ainsi un moyen exceptionnel de transport que ce soit en amont ou en aval de sa production. En outre, le port d'Indret ne se situe pas en bordure de côte. Il est donc à l'abri de toute incursion ennemie.
Nantes, port situé sur ce fleuve, est le lieu où ont déjà eu lieu quelques essais préliminaires de fonte de minerai avec du charbon de terre, technique appliquée par les Anglais depuis déjà plusieurs années.
Enfin dans cette ville, on y trouve un Commissaire de la Marine qui a la main haute sur toutes les affaires de Marine allant de Brest en passant par Rochefort, jusqu'à ... Orléans. Il pourra donc surveiller très aisément ce futur lieu qui ne va pas manquer de devenir stratégique.

Ensuite, il convient de souligner qu'il s'agit d'implanter un domaine militaire qui doit donc rester aussi discret que possible. Or, Indret est situé sur une île en Loire.
son accès par route demeure quasi impossible car si une digue rejoint la rive sud depuis une vingtaine d'années, aucun chemin n'y débouche. Cette dernière aboutit, en effet, au pied de rochers d'accès difficile.
le site reste très caché puisque entièrement entouré de bois qui le dissimulent à la vue des curieux, professionnels ou non « l'isolement de celle-ci serait favorable à la mise au point, à l'abri d'indiscrétions, d'une fabrication précieuse pour la défense du royaume » écrit le Ministre.

Indret est une propriété royale depuis quelques temps déjà, il n'y a donc point besoin de faire d'acquisitions de terrains.

Il existe à proximité des carrières qui vont pouvoir fournir le sable de moulage nécessaire.

Et, cerise sur le gâteau, les canons doivent être essayés. Or, à environ 300 mètres se trouve un coteau totalement désert sur lequel pourront être tirés les boulets. Donc site idéal pour ces essais. L'histoire montrera très vite que sur ce dernier point, les choses ne se passeront pas aussi bien que prévu.