Indret : Une fonderie de canons ( 1777 - 1828 )



Indret et ses riverains




L'île d'Indret rachetée à Louis Duplessis est devenue propriété royale à partir de 1642. Une activité de construction navale s'y est développée et les différents ministres qui se succéderont se montreront soucieux de préserver l'intégralité de ces terres et d'y assurer une certaine sécurité. Ainsi le 3 juin 1783, une équipe vient sur l'île du massereau de St Jean pour y effectuer des relevés topographiques. Elle est parfaitement mandatée puisque elle agit en fonction d'un arrêt du Conseil du roi en date du 17 décembre 1782. Pour des raisons de convivialité, elle avait tenté de joindre, le 27 mai, M. Dandigné chargé de la sécurité dans l'île. Celui-ci n'était pas présent puisqu'il « étoit depuis quelques jours à une campagne à quelques lieues d'Indret ». Les travaux à peine commencés à huit heures du matin, ce dernier surgit et demande à nos arpenteurs s'ils disposent d'un ordre du ministre pour lever le plan de la digue. Sur la réponse qui lui est faite qu'un arrêt du Conseil du roi leur donne les pouvoirs nécessaires, il ne s'émeut aucunement et enjoint à ses interlocuteurs de déchirer leur plan. Ceux-ci lui remettent alors le fruit de leur travail et s'entendent signifier qu'ils doivent quitter les lieux et que le Ministre sera informé de leur venue. Fort marris ces derniers, puisqu'« il n'y en a pas de moyen de pouvoir s'expliquer, il a fallu descamper après avoir été traité presque comme un observateur espion », remettront au lendemain la suite de leurs travaux et reviendront deux jours plus tard en prenant certaines précautions « en nous gardant bien d'aller dessus la ditte digue pour éviter une pareille disgrâce que celle arrivée il y a deux jours » et parviendront à terminer leur tâche puisqu'ils purent « non seulement lev[er] la digue en question mais encore le bassin d'Indret comme on peut le voir sur le plan ».

Le Ministre sera effectivement informé de ces faits et répondra le 20 juin au commissaire de Nantes : « J'ai reçu, Monsieur, avec votre lettre du 5 de ce mois, celle par laquelle M. d'ANDIGNE me rend compte des tentatives faites par divers particuliers pour lever le plan de l'isle d'Indret et de l'établissement de la fonderie. Je lui mande qu'il a bien fait d'empêcher ces particuliers de prendre des renseignements auxquels ils ne sont pas autorisés » ... alors que ceux-ci agissaient en vertu d'un arrêt du Conseil du roi !



Avant d'être livrés dans les différents ports, les canons devaient être essayés pour vérifier leur bon fonctionnement et s'assurer qu'ils étaient conformes aux exigences du cahier des charges. Ces essais devaient donc s'effectuer dans la mesure du possible à proximité immédiate du lieu de fabrication, bien qu'à une certaine période, on ait envisagé de les effectuer sur les lieux de livraison. Or, parmi les critères qui avaient prévalu au choix d'Indret figurait la possibilité d'effectuer des tirs directement à partir du site de l'usine sur un coteau voisin quasi inhabité.

La recette des canons obéissait à un certain nombre de règles définies, ainsi un procès-verbal rédigé en 1781 nous les précise-t-il : «  Les dites pièces ont été examinées avec le pied de chat, il ne fut trouvé aucun défaut dans l'âme et les parties extérieures, se sont trouvées juste au calibre de 36, 18 et 8 des dimensions prescrites, on leur a fait enterrer la culasse au 1/3 de son diamètre, la volée appuyée près des tourillons sur un chantier de bois, on a pointé les dites pièces au degré convenable suivant la position du local ; elles ont été chargées chacune d'une charge de poudre refoulée de trois coups et de deux boulets ronds et un valet par dessus refoulé de trois coups ; après le premier coup d'épreuve on les a chargées de nouveau et de la même manière en observant les mêmes précautions, après quoi on a repassé le pied de chat, les âmes se sont trouvées nettes, point rayées ni ondées, on a fait boucher les lumières de toutes les pièces que l'on a remplies d'eau et refoulées de force avec un écouvillon neuf, n'ayant parrû aucune filtration, elles ont été reconnues et jugées propres pour le service du Roy. Nous les avons pesées et leur poids a été constaté ».

Hélas, ce que n'avait sans doute pas suffisamment prévu l'administration, c'était que ces boulets devaient atterrir quelque part. Si le premier canon fut foré en août 1778, les premiers essais ne tardèrent pas et les projectiles vinrent atterrir sur les terres du marquis de Martel de St Jean. Aubaine pour les habitants qui s'empressent de les ramasser pour les revendre « soit au sieur Frérot, soit à d'autres particuliers  ». Cela ne plaît pas à notre Ministre qui s'empresse de donner des instructions précises : « enjoindre à tout particulier qui ramassera des boulets provenant des épreuves des canons de les apporter au commissaire des ports et arsenaux chargé du service de la marine à Nantes qui les fera payer à raison de six deniers la livre pesant, sous peine contre les contrevenants d'être mis en prison ».

L'affaire est-elle réglée pour autant ? Non, car les boulets font des dégâts au propriétaire des lieux. Celui-ci s'en plaint vivement et en 1779, de Sartines écrit au commissaire de Nantes (de Sourdeval) : « Mr le Marquis de Martel m'a représenté, Monsieur, qu'un de ses bois qui est situé vis-à-vis la fonderie de l'isle d'Indret a été fort endommagé par les boulets qui ont été tirés pour éprouver les canons ». Soucieux de réparer ses torts il donne des consignes pour dédommager le plaignant et ne manque pas alors d'ajouter : « il convient que pour éprouver les canons vous choisissiez un autre endroit où il n'y ait pas de particuliers qui puissent être incommodés dans leur terre par les boulets  ».

Les tergiversations vont alors commencer. De Sourdeval avait transmis l'estimation et avait recommandé l'achat du terrain concerné pour ne plus avoir d'ennuis. Oui mais, déclare notre Ministre : « Comme la multiplicité des épreuves détériore les canons et que par les mesures qui ont été prises avec le sieur Wendel l'épreuve des canons doit être faite que dans les ports où ils seront envoyés, je ne donnerai des ordres pour l'achat de ce terrain qu'autant que la nécessité sera reconnue. Il est donc essentiel que vous vous entendiez avec le sieur Wendel pour savoir si ce terrain peut lui être nécessaire et s'il faut absolument que le roi en fasse l'acquisition ».

En octobre 1780, rien n'est encore décidé et de Sourdeval réclame toujours l'achat des terrains concernés au nouveau Ministre (de Castries). L'ordre sera enfin donné le 25 novembre d'acquérir ces terres pour la somme de 4 000 livres.

Oui, mais ...

Il semble bien que les difficultés ne cessèrent pas pour autant.
A la fin de 1783, De Savignhac, autre propriétaire riverain se plaint, lui aussi, des dégâts occasionnés par ces boulets ainsi que d'extractions de sables opérées sur ses terres. Notre Ministre, toujours embarrassé lorsqu'il s'agit de propriétaire riverain veut savoir à quoi s'en tenir et souhaite les éclaircissements nécessaires pour pouvoir trancher. Un rapport établi au tout début de 1784 reconnaît que si des prélèvements de sable ont bien été faits, par contre, en ce qui concerne les dégâts causés par les tirs : «  on n'y voit aucune trace et tous les boulets se portent absolument dans les possessions de M. de Martel, lieu où ils sont dirigés, et si M. de Savignhac se donne la peine d'examiner la chose sur les lieux il ne pourra pas s'y méconnoître ».

Les aboutissements de ces querelles à propos des dégâts provoqués par les boulets qui tombent sur les propriétés voisines ne nous sont malheureusement pas parvenus. Mais il semblerait bien que ces conflits perdureront plus ou moins durant toute la période des essais. Ainsi le 19 novembre 1814, une nouvelle plainte apparaît, celle-ci est formulée par des fermiers de l'île « Chaviret » (lire Cheviré). Ces derniers « réclament des indemnités pour des dommages que leurs terrains et leurs récoltes ont éprouvés par la chute des bombes qui se tirent depuis deux ans à la fonderie d'Indret pour l'épreuve des mortiers ». Là encore, le Ministre se montrera soucieux de dédommager les victimes puisqu'il donne pour consigne de constater les dégâts, de les estimer et pour cela de « de nommer un expert pour procéder à cette opération contradictoirement avec celui qui sera choisi par les réclamants et de l'autoriser en cas de partage d'opinions à désigner un tiers-arbitre  ».



M. de Savignhac ne se contenta pas de se plaindre des boulets qui tombaient sur ses terres. Il formula également d'autres plaintes, notamment à propos de sables qui auraient été prélevés et de dégradations faites par les voituriers sur des chemins qui desservaient Indret.

Ses diverses réclamations ne semblèrent pas justifiées suivant les dires de ceux qui furent chargés d'expertiser les éventuels dégâts commis. Ainsi, début 1784, un rapport nous spécifie :

à propos des prélèvements de sable, deux rapports différents nous sont parvenus mais vont dans un même sens :

le premier rédigé par Rambourg (premier directeur de la fonderie de de Wendel) nous apprend que : «  on a effectivement pris des terres dans son bois pour construire le port appelé le port de la Maréchaussée ; la fouille s'étant faite à la rive du chemin, je pense que si le gouvernement lui donnoit cent écus pour cet objet, ce seroit payer généreusement la partie endommagée ».
le second rédigé par Laurent Fonteneau "expert local" nous dit que s'il a bien été « pris et escavé de la teire de Monsieur de Savignac  [...] pour les ouvrages de la fonderie Roialle du chateau d'Indrette », ces prélévements sont extrêmement minimes puisque l'expertise faite en présence des deux parties aboutit à la conclusion que : «  il s'est trouvé que lon a pris deux cordes et demy, pour quois j'estime le journal en fond mil livres ce qui fait pour les deux cordes et demy trante une livres cinq sols. 31 # 5 s ».

La corde valant 60,7799 m², le préjudice concernait donc 150 m² !

à propos des dégâts occasionnés par le passage de voitures, ces deux mêmes rapports nous apportent les éléments suivants :

«  M. de Savignhac a une vigne à la Briandière, il se trouve riverain du grand chemin quand ce même chemin se trouve mauvais, toutes les voitures quelconques suive leur route dans la dite vigne et y passent indistinctement ». L'argumentation qui s'ensuit peut paraître quelque peu spécieuse puisqu'il y est dit : « comme il n'est pas tenu à leur livrer passage c'est donc à son métayer à en interdire le passage en bouchant la dite vigne, si quelques voituriers enfreignent la loi de la province, ce même métayer est en droit de réclamer ces mêmes loix ». Partant de ce principe, la plainte déposée par de Savignhac peut être considérée comme non fondée car elle « ne doit pas plus porter sur les voituriers qui transportent le sable de la fonderie que sur les autres ; attendu que la voiture de ce sable se fait à marché, que s'ils se mettent dans le cas de l'amende, c'est à M. de Savignhac à faire sa diligence et à la poursuivre  ».

le second nous précise qu'il s'agit d'un terrain situé à l'Hommeau et que les voitures « agataient » un champ et que la voie suivie «  est impraticable à ne pouvoir y passer jusqu'à ce que le chemain soit racomodé  ». Soucieux d'accomplir correctement sa tâche il s'enquiert auprès de témoins « si les voitures passoient par le dit champ avant que lon charoit le sable  ». Après avoir obtenu cette assurance, il en conclut dans son rapport « ne pansant pas que Monsieur de Savignac puisse prétandre auqun dedomagemen attendu que les terres de droit et de gauche du chemin lui apartiennent ».

L'implantation de cette fonderie s'est vraisemblablement effectuée dans des conditions particulières nécessitées par l'urgence de la situation. Cela s'est traduit par un souci peu accentué du respect des propriétés voisines. Outre les faits déjà évoqués dans cette page, on peut également citer entre autres choses le différend qui opposa l'administration avec le marquis de Becdelièvre et le comte de Coutance.

Ainsi le site d'Indret disposait depuis quelques années de digues construites par Magin (voir notre page La Loire). Ces digues durent être modifiées pour répondre au besoin de la forerie. Des remblais furent donc nécessaires à cette opération et le plus simple consistait donc à «  emprunter » ces matériaux au plus près de leur lieu de destination. « L'isle Maindine » était prédisposée à ce sujet et fut donc exploitée, ce qui ne fut pas du goût de ses propriétaires, nobles de surcroît. Ceux-ci présentèrent alors un mémoire au Ministre de la Marine pour faire connaître leurs doléances. Elles se résument essentiellement en trois points :

Terres et bois prélevés pour permettre la tenue des digues à aménager.

Stockage sur les prairies des bois prélevés qui ont entraîné une perte de revenus pour non jouissance. Des experts désignés par les parties aderses ont procédé à une estimation de ces deux points qui déboucha sur un accord « Quoiqu'il en soit il me semble qu'il n'y avoit rien de mieux à faire que d'arpenter le terrain sur lequel ces bois nécessaires aux travaux ont été déposés et travailler pour en fixer l'indemnité à raison de la non jouissance comme on l'a fait ; la même marche ayant été suivie pour les terres enlevées,je ne vois pas qu'il y ait la moindre objection à faire sur l'estimation des experts qui portent le dédommagement en total à la somme de 708 livres 15 sols  ».

Dégradation à venir de l'île due aux prélèvements qui aboutiront à terme à des érosions accélérées par les eaux du fleuve. Il n'en sera pas de même sur ce point car l'expert pour la partie royale estima qu'il «  il faudroit attendre que ces dégradations eussent lieu pour en demander le dédommagement ». S'ensuit toute une tentative de démonstration pour montrer le caractère fallacieux d'une telle « demande que font Mmrs de Becdelièvre et de Coutance sur des dégradations qui n'existent pas et qui n'existeront peut-être jamais ». Car « Si la Mandine avoit ses bords formés d'un talus bien long et herbé depuis la haute jusqu'à la basse mer, si l'on avoit enlevé ce talus et coupé les terres perpendiculairement, cette manière de faire donnant aux eaux la facilité de saper le terrain, les craintes pourroient être fondées ». Mais dans le cas présent, notre expert soucieux de défendre les intérêts de son mandataire ne manque pas d'observer que « les bords de la Maindine sont perpendiculaires dans toute son étendue, ainsi la partie dans laquelle on a pris des terres ne peut être plus désavantageusement traitée que les autres parties ». Il ne manquera pas non plus de faire remarquer que la « ,pointe de cette isle qui regarde les digues est plus exposée au courant que les côtés, elle l'a toujours été, rien n'a changé sur cela, cette pointe non défendue auroit été enlevée sans que les digues eussent lieu ». Il ira même jusqu'à affirmer pour faite taire les revendications des réclamants que « c'est dans cet endroit que l'on a pris la plus grande quantité de terre et ce sont ces mêmes terres que le courant auroit emporté selon toutes les apparences que l'on paye au propriétaire ». Il terminera sa plaidoirie en assénant ce qu'il considère comme un coup de grâce « On fait plus car les trente sept cordes que l'on paye n'ont pas été enlevées à plus de moitié près, et l'on en a pris cette quantité que pour défendre le reste de la prairie ».

De quoi se plaint-on ?



Nantes jouissait moyennant redevance au Roi des terres qui avaient été gagnées sur le fleuve suite aux travaux de Magin vers la fin des années 1750. Elle avait loué ces terres à plusieurs riverains qui avaient manifesté leur intérêt. Certains d'entre eux avaient exécuté des travaux de consolidation de ces nouveaux terrains tels que plantations de roseaux pour fixer les vases, fascines ou autres. Lorsque la fonderie fut créée, les relations avec les riverains allaient fortement évolué car « le roy est bien le maître de reprendre des possessions dont il a fait la concession à la communauté de ville ». Pourtant de Martel, seigneur de St Jean de Boiseau était de ceux qui avaient effectué des travaux sur les terrains qu'il avait loués. Se plaignant en mai 1779 que l'aménagement des digues nuisaient aux efforts qu'ils avait effectués il s'entendit répondre « que ni luy, ni ses co- propriétaires, ni la communauté de ville ne devaient plus compter sur ces atterrissements en tout ce qui était contigu à l'isle d'Indret parce que le Roy était dans la résolution d'en disposer à son profit, qu'en conséquence ils devaient s'abstenir d'en faire couper les bois qui sont dans les débornements sus-dits, ni d'y faire dans la suite aucune plantation d'autant que le ministre luy avait donné ordre d'en disposer pour les travaux que le roy y vouloit faire ». Il dut ne pas apprécier cette réponse d'autant qu'en 1775, déjà, il s'était vu accuser par Doyart, commissaire- ordonnateur de la marine à Nantes d'avoir effectué des plantations sur des terres qui dépendaient d'Indret.

En 1786, nouveau rebondissement. Les administrateurs du domaine du roi tentent de remettre en cause les titres détenus par la ville de Nantes. Ils prétendent que cette concession avait été faite sous condition à savoir : œuvrer pour le bien de la navigation en Loire. Or, disent-ils, non seulement Nantes n'a jamais fait quoi que ce soit dans ce sens mais en plus, elle en tire des bénéfices avec les baux passés. « Les travaux faits à l'isle d'Indret et au bassin pour la fonderie de canons ont occasionné les atterrissements dont il s'agit, ces travaux sont le résultat des dépenses faites par le gouvernement ». Ce qui est faux puisque les travaux faits pour la fonderie non seulement n'ont pas créé d'atterrissements mais en plus ils ont détruit, du moins en partie, ceux effectués une vingtaine d'années auparavant.