L'île d'Indret rachetée à Louis Duplessis est devenue
propriété royale à partir de 1642.
Une activité de construction navale s'y est développée et les différents
ministres qui se succéderont se montreront soucieux de préserver
l'intégralité de ces terres et d'y assurer une certaine sécurité. Ainsi le 3
juin 1783, une équipe vient sur l'île du massereau de St Jean pour y
effectuer des relevés topographiques. Elle est parfaitement mandatée puisque
elle agit en fonction d'un arrêt du Conseil du roi en date du 17 décembre
1782. Pour des raisons de convivialité, elle avait tenté de joindre, le 27
mai, M. Dandigné chargé de la sécurité dans l'île. Celui-ci n'était pas
présent puisqu'il « étoit depuis quelques jours à une campagne à
quelques lieues d'Indret ». Les travaux à peine commencés à
huit heures du matin, ce dernier surgit et demande à nos arpenteurs s'ils
disposent d'un ordre du ministre pour lever le plan de la digue. Sur la
réponse qui lui est faite qu'un arrêt du Conseil du roi leur donne les
pouvoirs nécessaires, il ne s'émeut aucunement et enjoint à ses
interlocuteurs de déchirer leur plan. Ceux-ci lui remettent alors le fruit
de leur travail et s'entendent signifier qu'ils doivent quitter les lieux et
que le Ministre sera informé de leur venue. Fort marris ces derniers,
puisqu'« il n'y en a pas de moyen de pouvoir s'expliquer, il a
fallu descamper après avoir été traité presque comme un observateur espion », remettront au lendemain la suite de leurs travaux et
reviendront deux jours plus tard en prenant certaines précautions « en nous gardant bien d'aller dessus la ditte digue pour éviter une
pareille disgrâce que celle arrivée il y a deux jours » et
parviendront à terminer leur tâche puisqu'ils purent « non
seulement lev[er] la digue en question mais encore le bassin d'Indret comme
on peut le voir sur le plan ».
Le Ministre sera effectivement informé de ces faits et répondra le 20 juin
au commissaire de Nantes : « J'ai reçu, Monsieur, avec votre
lettre du 5 de ce mois, celle par laquelle M. d'ANDIGNE me rend compte des
tentatives faites par divers particuliers pour lever le plan de l'isle
d'Indret et de l'établissement de la fonderie. Je lui mande qu'il a bien
fait d'empêcher ces particuliers de prendre des renseignements auxquels ils
ne sont pas autorisés » ... alors que ceux-ci agissaient en
vertu d'un arrêt du Conseil du roi !
Avant d'être livrés dans les différents ports, les canons
devaient être essayés pour vérifier leur bon fonctionnement et s'assurer
qu'ils étaient conformes aux exigences du cahier des charges. Ces essais
devaient donc s'effectuer dans la mesure du possible à proximité immédiate
du lieu de fabrication, bien qu'à une certaine période, on ait envisagé de
les effectuer sur les lieux de livraison. Or, parmi les critères qui avaient
prévalu au choix d'Indret figurait la possibilité d'effectuer des tirs
directement à partir du site de l'usine sur un coteau voisin quasi inhabité.
La recette des canons obéissait à un certain nombre de règles définies,
ainsi un procès-verbal rédigé en 1781 nous les précise-t-il : «
Les dites pièces ont été examinées avec le pied de chat, il ne fut trouvé
aucun défaut dans l'âme et les parties extérieures, se sont trouvées juste
au calibre de 36, 18 et 8 des dimensions prescrites, on leur a fait enterrer
la culasse au 1/3 de son diamètre, la volée appuyée près des tourillons sur
un chantier de bois, on a pointé les dites pièces au degré convenable
suivant la position du local ; elles ont été chargées chacune d'une charge
de poudre refoulée de trois coups et de deux boulets ronds et un valet par
dessus refoulé de trois coups ; après le premier coup d'épreuve on les a
chargées de nouveau et de la même manière en observant les mêmes
précautions, après quoi on a repassé le pied de chat, les âmes se sont
trouvées nettes, point rayées ni ondées, on a fait boucher les lumières de
toutes les pièces que l'on a remplies d'eau et refoulées de force avec un
écouvillon neuf, n'ayant parrû aucune filtration, elles ont été reconnues et
jugées propres pour le service du Roy. Nous les avons pesées et leur poids a
été constaté ».
Hélas, ce que n'avait sans doute pas suffisamment prévu l'administration,
c'était que ces boulets devaient atterrir quelque part. Si le premier canon
fut foré en août 1778, les premiers essais ne tardèrent pas et les
projectiles vinrent atterrir sur les terres du marquis de Martel de St Jean.
Aubaine pour les habitants qui s'empressent de les ramasser pour les
revendre « soit au sieur Frérot, soit à d'autres particuliers
». Cela ne plaît pas à notre Ministre qui s'empresse de donner des
instructions précises : « enjoindre à tout particulier qui
ramassera des boulets provenant des épreuves des canons de les apporter au
commissaire des ports et arsenaux chargé du service de la marine à Nantes
qui les fera payer à raison de six deniers la livre pesant, sous peine
contre les contrevenants d'être mis en prison ».
L'affaire est-elle réglée pour autant ? Non, car les boulets font des dégâts
au propriétaire des lieux. Celui-ci s'en plaint vivement et en 1779, de
Sartines écrit au commissaire de Nantes (de Sourdeval) : « Mr le
Marquis de Martel m'a représenté, Monsieur, qu'un de ses bois qui est situé
vis-à-vis la fonderie de l'isle d'Indret a été fort endommagé par les
boulets qui ont été tirés pour éprouver les canons ». Soucieux
de réparer ses torts il donne des consignes pour dédommager le plaignant et
ne manque pas alors d'ajouter : « il convient que pour éprouver
les canons vous choisissiez un autre endroit où il n'y ait pas de
particuliers qui puissent être incommodés dans leur terre par les boulets
».
Les tergiversations vont alors commencer. De Sourdeval avait transmis
l'estimation et avait recommandé l'achat du terrain concerné pour ne plus
avoir d'ennuis. Oui mais, déclare notre Ministre : « Comme la
multiplicité des épreuves détériore les canons et que par les mesures qui
ont été prises avec le sieur Wendel l'épreuve des canons doit être faite que
dans les ports où ils seront envoyés, je ne donnerai des ordres pour l'achat
de ce terrain qu'autant que la nécessité sera reconnue. Il est donc
essentiel que vous vous entendiez avec le sieur Wendel pour savoir si ce
terrain peut lui être nécessaire et s'il faut absolument que le roi en fasse
l'acquisition ».
En octobre 1780, rien n'est encore décidé et de Sourdeval réclame toujours
l'achat des terrains concernés au nouveau Ministre (de Castries). L'ordre
sera enfin donné le 25 novembre d'acquérir ces terres pour la somme de 4 000
livres.
Oui, mais ...
Il semble bien que les difficultés ne cessèrent pas pour autant.
A la fin de 1783, De Savignhac, autre propriétaire riverain se plaint, lui
aussi, des dégâts occasionnés par ces boulets ainsi que d'extractions de
sables opérées sur ses terres. Notre Ministre, toujours embarrassé lorsqu'il
s'agit de propriétaire riverain veut savoir à quoi s'en tenir et souhaite
les éclaircissements nécessaires pour pouvoir trancher. Un rapport établi au
tout début de 1784 reconnaît que si des prélèvements de sable ont bien été
faits, par contre, en ce qui concerne les dégâts causés par les tirs : «
on n'y voit aucune trace et tous les boulets se portent absolument
dans les possessions de M. de Martel, lieu où ils sont dirigés, et si M. de
Savignhac se donne la peine d'examiner la chose sur les lieux il ne pourra
pas s'y méconnoître ».
Les aboutissements de ces querelles à propos des dégâts provoqués par les
boulets qui tombent sur les propriétés voisines ne nous sont malheureusement
pas parvenus. Mais il semblerait bien que ces conflits perdureront plus ou
moins durant toute la période des essais. Ainsi le 19 novembre 1814, une
nouvelle plainte apparaît, celle-ci est formulée par des fermiers de l'île
« Chaviret » (lire Cheviré). Ces derniers
« réclament des indemnités pour des dommages que leurs terrains et leurs
récoltes ont éprouvés par la chute des bombes qui se tirent depuis deux ans
à la fonderie d'Indret pour l'épreuve des mortiers ». Là
encore, le Ministre se montrera soucieux de dédommager les victimes
puisqu'il donne pour consigne de constater les dégâts, de les estimer et
pour cela de « de nommer un expert pour procéder à cette
opération contradictoirement avec celui qui sera choisi par les réclamants
et de l'autoriser en cas de partage d'opinions à désigner un tiers-arbitre
».
M. de Savignhac ne se contenta pas de se plaindre des
boulets qui tombaient sur ses terres. Il formula également d'autres
plaintes, notamment à propos de sables qui auraient été prélevés et de
dégradations faites par les voituriers sur des chemins qui desservaient
Indret.
Ses diverses réclamations ne semblèrent pas justifiées suivant les dires de
ceux qui furent chargés d'expertiser les éventuels dégâts commis. Ainsi,
début 1784, un rapport nous spécifie :
à propos des prélèvements de sable, deux rapports différents nous
sont parvenus mais vont dans un même sens :
La corde valant 60,7799 m², le préjudice concernait donc 150 m² !
à propos des dégâts occasionnés par le passage de voitures, ces deux
mêmes rapports nous apportent les éléments suivants :
L'implantation de cette fonderie s'est vraisemblablement
effectuée dans des conditions particulières nécessitées par l'urgence de la
situation. Cela s'est traduit par un souci peu accentué du respect des
propriétés voisines. Outre les faits déjà évoqués dans cette page, on peut
également citer entre autres choses le différend qui opposa l'administration
avec le marquis de Becdelièvre et le comte de Coutance.
Ainsi le site d'Indret disposait depuis quelques années de digues
construites par Magin (voir notre page La Loire). Ces digues durent être
modifiées pour répondre au besoin de la forerie. Des remblais furent donc
nécessaires à cette opération et le plus simple consistait donc à «
emprunter » ces matériaux au plus près de leur lieu de
destination. « L'isle Maindine » était prédisposée à
ce sujet et fut donc exploitée, ce qui ne fut pas du goût de ses
propriétaires, nobles de surcroît. Ceux-ci présentèrent alors un mémoire au
Ministre de la Marine pour faire connaître leurs doléances. Elles se
résument essentiellement en trois points :
Terres et bois prélevés pour permettre la tenue des digues à
aménager.
Stockage sur les prairies des bois prélevés qui ont entraîné une
perte de revenus pour non jouissance. Des experts désignés par les
parties aderses ont procédé à une estimation de ces deux points qui
déboucha sur un accord « Quoiqu'il en soit il me semble qu'il
n'y avoit rien de mieux à faire que d'arpenter le terrain sur lequel ces
bois nécessaires aux travaux ont été déposés et travailler pour en fixer
l'indemnité à raison de la non jouissance comme on l'a fait ; la même
marche ayant été suivie pour les terres enlevées,je ne vois pas qu'il y
ait la moindre objection à faire sur l'estimation des experts qui
portent le dédommagement en total à la somme de 708 livres 15 sols
».
Dégradation à venir de l'île due aux prélèvements qui aboutiront à
terme à des érosions accélérées par les eaux du fleuve. Il n'en sera pas
de même sur ce point car l'expert pour la partie royale estima qu'il «
il faudroit attendre que ces dégradations eussent lieu pour
en demander le dédommagement ». S'ensuit toute une
tentative de démonstration pour montrer le caractère fallacieux d'une
telle « demande que font Mmrs de Becdelièvre et de Coutance
sur des dégradations qui n'existent pas et qui n'existeront peut-être
jamais ». Car « Si la Mandine avoit ses bords
formés d'un talus bien long et herbé depuis la haute jusqu'à la basse
mer, si l'on avoit enlevé ce talus et coupé les terres
perpendiculairement, cette manière de faire donnant aux eaux la facilité
de saper le terrain, les craintes pourroient être fondées ».
Mais dans le cas présent, notre expert soucieux de défendre les intérêts
de son mandataire ne manque pas d'observer que « les bords de
la Maindine sont perpendiculaires dans toute son étendue, ainsi la
partie dans laquelle on a pris des terres ne peut être plus
désavantageusement traitée que les autres parties ». Il ne
manquera pas non plus de faire remarquer que la « ,pointe de
cette isle qui regarde les digues est plus exposée au courant que les
côtés, elle l'a toujours été, rien n'a changé sur cela, cette pointe non
défendue auroit été enlevée sans que les digues eussent lieu ». Il ira même jusqu'à affirmer pour faite taire les revendications
des réclamants que « c'est dans cet endroit que l'on a pris
la plus grande quantité de terre et ce sont ces mêmes terres que le
courant auroit emporté selon toutes les apparences que l'on paye au
propriétaire ». Il terminera sa plaidoirie en assénant ce
qu'il considère comme un coup de grâce « On fait plus car les
trente sept cordes que l'on paye n'ont pas été enlevées à plus de moitié
près, et l'on en a pris cette quantité que pour défendre le reste de la
prairie ».
De quoi se plaint-on ?
Nantes jouissait moyennant redevance au Roi des terres qui
avaient été gagnées sur le fleuve suite aux travaux de Magin vers la fin des
années 1750. Elle avait loué ces terres à plusieurs riverains qui avaient
manifesté leur intérêt. Certains d'entre eux avaient exécuté des travaux de
consolidation de ces nouveaux terrains tels que plantations de roseaux pour
fixer les vases, fascines ou autres. Lorsque la fonderie fut créée, les
relations avec les riverains allaient fortement évolué
car « le roy est bien le maître de reprendre des
possessions dont il a fait la concession à la communauté de ville ».
Pourtant de Martel, seigneur de St Jean de Boiseau était de ceux qui avaient
effectué des travaux sur les terrains qu'il avait loués. Se plaignant en mai
1779 que l'aménagement des digues nuisaient aux efforts qu'ils avait effectués
il s'entendit répondre « que ni luy, ni ses co-
propriétaires, ni la communauté de ville ne devaient plus compter sur ces
atterrissements en tout ce qui était contigu à l'isle d'Indret parce que le
Roy était dans la résolution d'en disposer à son profit, qu'en conséquence
ils devaient s'abstenir d'en faire couper les bois qui sont dans les
débornements sus-dits, ni d'y faire dans la suite aucune plantation d'autant
que le ministre luy avait donné ordre d'en disposer pour les travaux que le
roy y vouloit faire ». Il dut ne pas apprécier cette réponse
d'autant qu'en 1775, déjà, il s'était vu accuser par Doyart, commissaire-
ordonnateur de la marine à Nantes d'avoir effectué des plantations sur des
terres qui dépendaient d'Indret.
En 1786, nouveau rebondissement. Les administrateurs du domaine du roi tentent
de remettre en cause les titres détenus par la ville de Nantes. Ils prétendent
que cette concession avait été faite sous condition à savoir : œuvrer
pour le bien de la navigation en Loire. Or, disent-ils, non seulement Nantes
n'a jamais fait quoi que ce soit dans ce sens mais en plus, elle en tire des
bénéfices avec les baux passés. « Les travaux
faits à l'isle d'Indret et au bassin pour la fonderie de canons ont
occasionné les atterrissements dont il s'agit, ces travaux sont le résultat
des dépenses faites par le gouvernement ». Ce qui est faux
puisque les travaux faits pour la fonderie non seulement n'ont pas créé
d'atterrissements mais en plus ils ont détruit, du moins en partie, ceux
effectués une vingtaine d'années auparavant.