Indret : Une fonderie de canons ( 1777 - 1828 )



Une forerie pour une fonderie



Service historique marine Rochefort



La guerre de sept ans (1756-1763) qui fut si catastrophique pour la France laisse la Grande-Bretagne maîtresse des océans. La marine française, elle, est exsangue et doit se reconstituer. Choiseul, d'abord, puis Praslin commencèrent le redressement de cette arme que d'autres continuèrent. Il importait donc de recréer vaisseaux et artillerie et, pour obtenir une artillerie conséquente, de nouvelles fonderies devaient s'implanter ; en outre la qualité devait être de rigueur pour s'assurer de très bons armements.

En 1777, de Sartines, le Ministre de la Marine du moment fit donc appel à un ingénieur anglais, Wilkinson, pour qu'il établisse en bordure de Loire, à Indret plus précisément, les moyens de production nécessaires. Ce fut un paradoxe après cette guerre, alors même que la France s'apprêtait à combattre une nouvelle fois (après février 1778) la perfide Albion pour aider les insurgés américains depuis leur déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776.

Couler des canons, c'est bien, mais il faut également les forer. Or à cette époque, la vapeur ne permet pas encore de disposer de la puissance nécessaire, le vent est écarté car il est trop soumis aux caprices du temps, restent donc la force animale et celle de l'eau. De Sartine optera pour la solution hydraulique car, écrira-t-il, le moyen « qui consiste à employer des chevaux pour mettre le moulin en action exige moins de temps et de dépense, il y auroit à craindre que la difficulté de donner aux chevaux un mouvement toujours égal, n'empêchât de rendre le forage aussi parfait qu'il doit l'être. D'après cette considération j'étois déjà disposé à préférer les machines mues par l'eau, quoique plus dispendieuses et d'une plus longue exécution ». C'en est décidé - ou presque -, Indret aura donc une forerie hydraulique pour la fonderie ... qu'il reste à construire.

Au milieu des années 1750, Nantes avait obtenu de l'autorité royale la permission de modifier le cours de la Loire pour améliorer sa navigabilité (voir notre page spéciale). On avait fait alors appel à un ingénieur de la Marine, Magin, pour ces travaux qui devaient complètement bouleverser l'aspect de notre fleuve. Cet homme décida que le cours du fleuve serait déporté dans sa partie nord, qu'il serait sérieusement rétréci pour que la force du courant creuse de façon substantielle son lit. Pour y parvenir, il avait fait relier par des digues bon nombre d'îles en Loire sur la rive gauche, il avait en outre relié certaines de ces îles à cette même rive pour que les dépôts d'alluvions se fassent et contribuent ainsi à combler d'autant plus vite cette rive sud. Or n'avait-il pas dès 1757-1758 relier Indret au coteau qui se trouvait sur la rive gauche, n'avait-il pas également commencer à obstruer ce même passage entre Indret et cette rive plus en amont près de Roche-Ballue ? Qui donc, mieux que Magin pouvait être à même d'installer cette forerie puisque la modification des lieux lui était déjà due ?



Ainsi donc, le 16 mai 1777, de Sartines, heureux de savoir que « l'isle d'indret réunit tous les avantages qu'on peut désirer pour l'établissement de la fonderie à réverbère » et voyant qu'à Nantes il n'y a « personne qui ait assez de connoissance de la partie hydraulique pour conduire les ouvrages qui doivent être faits dans l'eau » informe le commissaire de la Marine qu'il « donne ordre au sieur Magin qui a déjà fait avec succès plusieurs ouvrages dans la rivière de Loire de se rendre à Nantes pour diriger ceux qu'il y aura à faire pour l'établissement dont il s'agit  ». Le devis qui a été établi pour la forerie se monte à 14 831 livres 8 sols « non compris les ouvrages qui doivent être faits dans l'eau ». Mais ce courrier comporte une phrase qui sera lourde de conséquences pour le démarrage de cette forerie. Il y est, en effet, fait mention de l'obligation pour Magin de se concerter avec les autorités locales et Wilkinson pour réaliser ce projet. Or, très vite Wilkinson et Magin vont entrer en conflit.

Wilkinson arrive à Indret le 9 juin, retardé par « une maladie dangereuse survenue à [son] interprète ». Magin, lui, arrivera quelques jours plus tard à Nantes. Très vite, ils auront des optiques différentes pour définir le lieu d'implantation idéal de la forerie. Wilkinson voudrait la voir le plus près possible de la fonderie. Magin, quant à lui, est réticent. Il craint qu'une implantation sur la rive sud de l'île ne soit préjudiciable au fonctionnement. Il avait en effet modifié le cours du fleuve pour en creuser la partie nord et laisser se combler la partie sud. Aussi préconise-t-il de l'implanter à la Basse-Indre. Le Ministre qui place toute sa confiance en Magin l'appuie. « J'ai vu qu'après avoir été examiné avec les mêmes personnes et le sieur Wilkinson les différents endroits de la Basse-Indre, vous avez fait choix de celui qui sera le plus convenable pour l'établissement du moulin à forer ». Magin commence les travaux, ce qui n'est pas pour plaire à Wilkinson. Notre Ministre qui est en constante relation épistolaire avec son Commissaire à Nantes écrit : « Le sieur Magin m'a informé, Monsieur, qu'ayant commencé à faire escarper les rochers sur lesquels le moulin à forer doit être construit, le sieur Wilkinson lui a dit qu'il ne doit pas se mêler de cette partie ». Soucieux de ménager l'ingénieur anglais, il l'approuvera quand celui-ci dira « que pour maintenir la bonne intelligence, il ait déclaré qu'il ne s'en occupera plus ». Mais, également préoccupé des motivations de ce dernier, il priera son correspondant de lui faire savoir « quelle raison le sieur Wilkinson peut avoir eue pour arrêter le travail du sieur Magin qui a des connoissances très étendues sur les ouvrages de l'espèce dont il s'agit  ».

Le 6 septembre, de Sartines se plaint que les travaux traînent beaucoup trop. Magin l'a informé de ce fait et a même spécifié que Wilkinson ne demandait qu'un réservoir d'eau de 20 arpents pour faire mouvoir le moulin pendant les mortes eaux alors que selon lui, ce dernier en aurait besoin de 100. Aussi s'empresse-t-il de souligner qu'un tel volume rend le projet de son adversaire impraticable. Il ajoute également qu'ayant communiqué son travail à Wilkinson sans que celui-ci ait fait la moindre objection, «  il attend que cet artiste ait pris d'autres mesures pour établir la forerie  » pour faire connaître par un mémoire les avantages et inconvénients relatifs à cet établissement. Très embarrassé, notre Ministre enjoint au Commissaire nantais de se rendre à Indret et d'y discuter avec les deux parties du problème pour définir les mesures à prendre.

7 jours plus tard, brusque volte-face. Excédé « du peu d'apparence qu'il y a que cet ingénieur qui a laissé passer presque toute la belle saison sans rien faire, puisse se concilier avec le sieur Wilkinson  », de Sartines se résout à rappeler Magin à Paris afin que celui-ci lui rende compte de son travail. Il désigne par la même occasion son remplaçant. Ce sera Toufaire, Ingénieur des Bâtiments Civils à Rochefort qui sera chargé de prendre la suite. Très diplomate, il prendra la peine de spécifier : « Si lors de son arrivée à Nantes, le sieur Magin n'en est pas encore parti, il faudra que le sieur Toufaire ne se fasse pas connoître, afin de ménager la sensibilité du premier qui ne peut qu'être très mortifié de n'avoir pas répondu à la confiance que j'avais dans ses talents ». Mais efficacité oblige, il rappelle ses exigences «  J'espère que j'apprendrai bientôt que l'emplacement du moulin aura été déterminé invariablement, que les plans et devis en seront promptement dressés et qu'après qu'ils auront été revêtus de mon approbation leur exécution sera suivie avec une diligence qui ne laissera rien à désirer  ». Le premier souci de Toufaire sera de définir l'emplacement optimum pour ce moulin à forer. Plusieurs solutions vont être envisagées. Magin avait déjà pensé à installer ce moulin à ... 2 lieues et demie d'Indret (en fait on apprendra plus tard dans les courriers ministériels qu'il s'agissait du canal de Vue). Toufaire, lui, envisage les rivières de Sèvres et de Barbin, il envisage même Paimbœuf « afin de voir si quelqu'une de ces parties n'offre pas des avantages propres à balancer les inconvénients du transport ». En tout cas il «  ne pense pas qu'il soit possible d'établir le moulin à forer à la tête de la digue où il a d'abord été question de le placer ». La digue en question ne lui parait pas, en effet , de nature à effectuer la retenue d'eau nécessaire. Mais Wilkinson est un opiniâtre, il tient à sa forerie à proximité immédiate de la fonderie et argumente suffisamment pour convaincre de Serval, Inspecteur chargé de la fonderie et le Commissaire de Nantes. De Sartines se range donc à cet avis et décide : «  J'approuve donc que sans perte de temps tout soit arrangé pour mettre à exécution le troisième moyen indiqué par le sieur Toufaire qui sent sans doute qu'il est de la plus grande conséquence que les digues ayent une solidité à toute épreuve. Je vous observe que s'il ne pense pas pouvoir compter assez sûrement sur celles qui existent déjà, il pourra les laisser subsister mais qu'il faudra qu'il en fasse faire des nouvelles en dedans des bassins qui contiendront encore assez d'eau pour faire mouvoir les machines et à qui d'ailleurs, en donnant aux nouvelles digues un peu plus d'élévation, il seroit facile de faire retrouver ce qu'ils en perdront  ».

Notre ministre rajoutera : « Je ne me flatte pas qu'il puisse être achevé sans essuyer des contretemps mais, ainsi que vous l'avez observé, la forerie de Ruelle les rendra moins sensibles, puisque rien ne nous empêchera d'y avoir recours si cela est jugé nécessaire. Comme je n'écris pas aujourd'hui au sieur Toufaire vous voudrez bien lui dire que je suis très satisfait de son travail et de l'activité avec laquelle il s'est mis en état de m'en rendre compte ». Cependant, si dès le 4 novembre, de Sartines préconise de « rassembler dès à présent les matériaux et les ouvriers et faire travailler aux parties qui pourront être exécutées pendant l'hyver », la réalisation de cette forerie traînera encore un peu et le recours à la fonderie de Ruelle dut être jugé disproportionné. Une chose est certaine, la situation fut telle qu'il fut décidé en parallèle la construction d'un manège à chevaux, solution que notre Ministre avait, dans un premier temps, écartée. Comble de l'ironie, cette solution de secours recevra la signature du Ministre avant même celle qu'elle était censée suppléer puisqu'un courrier ministériel du 6 février 1778 l'annonce. Deux mois plus tard, le 24 avril il écrira : «  il est inutile de faire l'achat de huit chevaux pour le moulin à manège. Dans le cas où il sera nécessaire de se servir de ce moulin, vous aurez recours ainsi que vous le proposez à des chevaux de louage attendu que ce ne peut être que pour très peu de temps ». Les volte-faces continuent - et continueront - de se suivre. Toutes ces tergiversations retardent les travaux de la forerie hydraulique. Si les matériaux continuaient toujours à être rassemblés, la main d'œuvre qualifiée fait aussi défaut pour la construction : « Quant à la difficulté de vous procurer les ouvriers dont vous avez besoin, je désire bien que les mesures que vous prenez ainsi que le sieur Toufaire pour en faire venir de Bordeaux ou d'ailleurs réussissent afin de n'être pas dans le cas d'avoir recours aux deux compagnies de pionniers dont vous me parlez ». Comme quoi, on envisage tous les cas de figure nécessaires pour parvenir au but.

Hélas, la saison n'est pas propice aux travaux d'aménagement du site car la Loire connaît en ces moments des hauteurs d'eau incompatibles avec les aménagements nécessaires. En effet, les digues existantes jugées insuffisantes doivent être reprises pour être consolidées et étendues pour obtenir la surface nécessaire au bon fonctionnement du moulin à forer.

Ce n'est en fait qu'au tout début de janvier 1778 que de Sartines tranchera à propos de la forerie : « Vous avez vu, Monsieur, par la réponse provisoire que j'ai faite à votre lettre du 3 de ce mois que d'après les observations des sieurs Toufaire et Wilkinson sur les inconvénients dont est susceptible le projet de placer le moulin à forer sur le canal de Vue, ainsi que celui de faire mouvoir ce moulin par des chevaux, en attendant qu'il soit possible de se servir de la machine à eau, je me suis décidé à renoncer à tous ces projets ». Il tardera toutefois avant de revêtir de sa signature les plans qui lui seront adressés puisque ceux-ci ne seront revêtus du paraphe ministériel qu'au début de mai.

Le 15 août, de Lavillehélio, Commissaire de la Marine à Nantes pourra annoncer au Ministre qu'il revient d'Indret et qu'il y a vu couler et forer un canon de 6 (le plus petit calibre) et qu'il est satisfait des opérations. Il semblerait néanmoins que ce soit le manège à chevaux qui réalisa cette première car si, en juillet, le Ministre écrit : « Je suis bien aise d'apprendre que le manège et le mouvement de la machine à forer sont prêts, qu'il ne manque plus que les forets », en août , il précise : «  J'ai été bien aise ... de savoir que le moulin pourra commencer à travailler au mois d'octobre prochain. Je suis bien persuadé que le sieur Toufaire fait tout ce qui dépend de lui pour faire avancer les ouvrages qui doivent mettre ce moulin en activité, parce qu'il n'ignore pas qu'il est très essentiel pour les opérations du sieur Wilkinson  ». En outre un rapport établi par Perronet précise ; « Mr Toufaire espère que la machine à eau sera établie, et en état de forer à la fin d'octobre pendant au moins 5 heures par marée ou dix douze heures par jour ». Dernier argument de poids, ce même rapport spécifie : «  On pense que l'on sera en état de forer avec la machine provisoire dans un mois et demi ». Pourtant, en septembre et octobre, des ennuis retardèrent encore les travaux et si, la forerie fit ses premiers tours à la fin d'octobre, des usures prononcées au bout de quelques heures de marche retardèrent le fonctionnement correct de la forerie jusqu'en janvier 1779.



A) les digues :

C'est le rapport de Perronet qui nous permet de connaître les travaux qui furent entrepris pour modifier les digues réalisées quelques années plus tôt sous la direction de Magin.

Il démarre du reste par un paradoxe car si dès la première ligne, il signale que la « hauteur des plus grandes eaux et des débordements au- dessus des basses eaux » est de 12 pieds [3,90 m], il précise 3 lignes après que « La nouvelle digue au droit de la machine à forer de 140 toises de long [273 m] sera appuyée à ses extrémités contre le rocher et élevée de 5 pieds 6 pouces [1,79 m] au-dessus des plus basses eaux  ».

Cette digue sera en outre « élevée de 2 pieds 3 pouces [0,73 m] à 2 pieds 6 pouces [0,81 m] au-dessus de l'ancienne digue actuelle ».

Elle aura 50 pieds (16,24 m) de large à sa base et comprendra «  6 files de pieux (soit environ 2400 pieux au total) en se servant des deux (files de pieux) de l'ancienne digue  », dans sa partie centrale elle comprendra une «  file de palplanches joinctice ».


Le réservoir supérieur aura 90 000 toises de surface (34,1887 ha). On se rapproche ainsi des 100 arpents (51,0720 ha) préconisés par Magin au début de cette affaire. La retenue d'eau garantira 4 pieds (1,30 m) lors des plus grandes sécheresses et bas marécages, ce qui permettra d'après les estimations le fonctionnement simultané de 4 forets.

B) la forerie :

Un rapport très complet nous est parvenu concernant la totalité des constructions réalisées à Indret (bâtiments, digues, écluses, fourneaux, grues, chemins ferrés, outillages, etc.). Il est daté du 15 septembre 1780.

La forerie mesurait 96 pieds de long [31,185 m] sur 36 de large [11,694 m] et 14 d'élévation [4,548 m]. Si la chapelle que nous connaissons aujourd'hui et qui fut construite sur le même emplacement ne comporte qu'une seule porte, il n'en était pas de même pour la forerie, pas moins de 6 portes donnaient accès en ce lieu. A l'est et à l'ouest, 2 portes de chêne de 10 pieds de large [3,248 m] sur 8 de haut [2,599 m], côté sud et nord, une porte de 8 pieds de haut [2,599 m] sur 6 de large [1,949 m]. La porte nord était « surmontée d'un fronton sur l'entablement duquel sont placés deux canons en sautoirs entrelacés par une chaîne  ».



2 grandes roues recevaient les eaux pour la transmission du mouvement. Elles mesuraient 20 pieds de diamètre [6,497 m] et faisaient respectivement 11 pieds 6 pouces de large [3,736 m] et 7 pieds 6 pouces [2,436 m].

A chaque extrémité de la forerie (nord et sud) se trouvent 2 «  chantiers » composés de « grillages en charpente de chêne » qui maintiennent les supports de culasse des canons, «  devant la bouche du canon est une pièce de bois mouvante qui sert à soutenir le foret ». Ce foret est monté sur un «  chariot monté sur 4 petites roulettes de fer de fonte qui sert à faire avancer le foret dans la pièce ».



Les archives consultées ne nous ont pas permis d'établir avec précision un bilan de la production industrielle de cet établissement durant ses 51 ans d'activité. Seuls quelques renseignements parcellaires nous sont parvenus.

Sur ce graphe que nous avons pu réaliser pour la période qui va d'avril 1782 à novembre de la même année, nous pouvons constater un parallélisme approximatif entre le nombre total de canons existants à Indret (compte-tenu des expéditions effectuées) et le nombre de canons qui restent à forer. Nous pouvons y constater qu'il a fallu attendre la fin de l'année pour voir rattraper le retard des canons restant à forer mais cette période coïncide également avec une brutale chute des existants sur le site, situation liée à une nette diminution des commandes.

Ainsi le 16 mars 1782, le Ministre écrivait au commissaire de la Marine à Nantes : « Je vous préviens qu 'il doit être coulé à la fonderie de l'isle d'Indret d'icy à la fin de l'année 30 canons de 36, 212 de 18 et 30 de 6 modèle court ». Soit un total de 272 canons de différents calibres. Les chiffres mentionnés dans les différents courriers font apparaître 190 pièces d'artillerie de février à août soit une moyenne de 10,55 pièces par huitaine (compte-tenu des états parvenus ) et une très nette diminution à partir du mois d'août jusqu'à la fin de l'année puisque seulement 57 pièces (11 huitaines) seront coulées soit une moyenne de 5,18 pièces pour les mêmes échéances. Si en février et mars les conditions climatiques ont perturbé les coulées « J'ai vu que pendant la huitaine il n'a été coulé que 7 canons parce qu'il y a eu de grandes gelées  », la même argumentation ne peut être alléguée pour les mois d'août et septembre où la production sera la plus faible. C'est pourtant fin juillet et début août de cette année qu'avec respectivement 15 et 18 pièces dans une huitaine, l'établissement assurera ses meilleures performances.

Nous voyons sur le graphe que c'est le 24 juillet (avec un retard de 79 canons) que la forerie subit son plus fort retard, les semaines suivantes lui permettront (avec l'aide du manège à chevaux) de réduire son handicap.




La courbe ci-dessus montre bien le retard perpétuel qu'accuse le nombre de canons forés par rapport au nombre de canons coulés en période de grosses commandes. En effet si la fonderie répondait bien aux besoins exprimés des canons nécessaires à cette époque pour la marine, la forerie bien que suppléée par une seconde à chevaux ne pouvait faire face, d'autant que les premiers problèmes relatifs à l'envasement du bassin de rétention des eaux étaient déjà apparus. Il convenait donc de trouver une solution à ce grave problème. C'est ainsi que naîtra le projet d'une seconde forerie accolée à la partie sud de la première, soit toujours à l'extrémité de la digue, et capable elle aussi d'usiner simultanément 4 canons.

Celle-ci est conçue légèrement différente et permettra un gain de place. En effet, les 2 roues au lieu de se trouver comme dans la première face à face dans le même axe avec les canons à forer répartis de part et d'autre, se trouvent imbriquées et les canons se situent tous du même côté des roues. Cette disposition permettait de gagner une place non négligeable en longueur même si la largeur devait en pâtir quelque peu.
L'ancienne forerie mesurait 96 pieds de long sur 36 de large (31,185 m x 11,694 m). Le plan que Toufaire réalisa le 11 mars 1783 nous montre que la nouvelle forerie en projet ne fait qu'environ 71 pieds de long pour 62 de large (23 m x 20 m).
Autre différence à noter : les roues. La roue de l'ancienne forerie qui apparaît sur ce plan est la plus petite des deux or sa largeur correspond à peu de chose près à la plus grande de la forerie en projet.
Cette remarque est confortée par un avant-projet non daté et non signé mais qui ressemble étrangement au document signé par Toufaire (seule différence notoire hormis ses dimensions extérieures : l'inversion des deux roues, grande roue à l'ouest et petite à l'est). Il est indiqué sur ce document que la nouvelle grande roue fait 8 pieds de large (2,599 m) alors que la petite roue de l'ancienne forerie faisait 7 pieds 6 pouces soit 2,436 m. Par contre les diamètres sont légèrement supérieurs à ceux de l'ancienne puisqu'ils sont de 21 pieds 6 pouces (6,984 m) pour 20 pieds sur l'ancienne forerie. Ces valeurs se retrouvent assez bien à l'échelle sur le plan de Toufaire.
Toutefois, il convient de noter que la surface de travail des pales des roues doit rester à peu près équivalente puisque si leur longueur est réduite (identique à la largeur des roues), leur largeur est plus importante.

A noter également que les voies ferrées qui permettaient le transport des canons pénétraient à l'intérieur du futur bâtiment alors qu'elles restaient à l'extérieur de l'ancien.



Ce projet ne verra finalement jamais le jour. Il fut très vite abandonné au profit d'une forerie à vapeur.



Avant même d'être terminée, cette forerie se trouve concurrencée par le manège à chevaux, solution qui avait pourtant été repoussée à l'origine par le ministre. La production est cependant insuffisante et les besoins justifieront dès 1786, l'installation d'«  une machine à feu » (vapeur). La forerie hydraulique ne pourra donc s'attribuer le mérite du forage de tous les canons coulés sur ce site.

Très vite, des problèmes apparurent lors de l'utilisation de cette forerie. Magin qui avait détourné le fleuve pour que son lit principal se situe dans la partie nord savait que la partie sud était condamnée à s'envaser. C'est ce qui va se produire très rapidement et avec une telle force et une telle constance que les travaux nécessaires pour y remédier s'espaceront de plus en plus dans le temps amenant ipso facto la condamnation de ce site.

Ainsi en avril 1781 « le manque d'eau est la cause du peu de canons forés en gros calibre à Indret ». Or en avril, nous ne sommes pas en période de sécheresse, loin de là. Même son de cloche au mois de mai et en août, pour ce dernier mois, il est possible que l'étiage soit naturellement moindre. Toujours est-il que la constance du phénomène inquiète les responsables qui recherchent un remède à leur problème. En septembre 1782, déjà, le nouveau ministre, de Castries, en place depuis octobre 1780 écrit : « Il m'a été observé, Monsieur, que le forage des canons à l'isle d'Indret ne pouvant s'exécuter aussi promptement que le fondage, il n'est pas possible de retirer de cet établissement tout l'avantage dont il est susceptible. Il paroit donc nécessaire de faire augmenter de deux foreries celles qui y sont pour qu'elles puissent suivre le travail des fonderies ». C'est un aveu de taille, la forerie et le moulin à manège sont bien insuffisants pour la production d'Indret, il faut donc suppléer cette carence. A ce courrier sont joints le plan et le devis estimatif de la nouvelle implantation que le Ministre a pris la peine de faire établir.

Un courrier du 5 Mai 1781 nous apprend qu'«  Il est fâcheux que la sécheresse qui règne soit cause qu'on ne puisse pas se servir du grand moulin pour le forage des canons [...] En attendant je suis fort aise que le Régisseur pour tirer parti de tous les moyens qui sont en son pouvoir ait fait établir un petit moulin des chantiers pour le canon de 36 et de savoir qu'on y fore actuellement ». 3 ans donc, seulement, après sa construction alors que les travaux réalisés prévoyaient qu'il y aurait toujours au moins 1,30 m d'eau même pour les plus grandes sécheresses (voir notre paragraphe sur les digues), la forerie n'est plus en état d'accomplir sa mission quelles que soient les conditions d'étiage.

Les glaces qui dérivent en Loire et qui brisent les écluses, les périodes de sécheresse qui privent la fonderie de ses eaux motrices, les envasements successifs et de plus en plus rapprochés qui comblent ce grand réservoir, les curages qui, par lassitude, se feront de plus en plus rares, les incidents techniques sur cette forerie qui l'immobiliseront temporairement, les périodes de moindre activité (manque de commandes), son indisponibilité régulière (10 à 12 heures de production par jour à ses débuts et seulement 4 heures par jour sur sa fin), la création d'une forerie mue par la «  machine à feu » auront raison de cet édifice. Tous les palliatifs dignes de la raison humaine seront toutefois tentés pour essayer de sauver cette réalisation. Ainsi en 1790 «  il a été arrêté au Conseil de la Marine que toutes les vannes des deux digues du bassin de la fonderie d'Indret seroient levées pendant la crue des eaux afin de leur donner durant l'hiver la facilité de creuser quelques parties de ce bassin et d'emporter les vases qui s'y sont amassées » et pour améliorer l'efficacité il sera même envisagé « d'avoir plusieurs toues avec deux ou trois hommes dans chacune et de fortes perches pour remuer et agiter les vases de manière à ce qu'elles puissent être entraînées par le courant occasionné par l'ouverture des écluses ».

En septembre 1816, 200 ouvriers seront mobilisés pour curer le bassin et son canal d'alimentation, une somme de 10 000 F devra être versée pour permettre au nouvel entrepreneur (Demangeat vient en effet de partir) de faire face aux dépenses inhérentes à ces travaux.

Le 28 juin 1824, le ministre écrit : « Les travaux de curage et de déblais proposés pour améliorer le bassin du moulin à forer ne doivent être entrepris qu'autant qu'il sera préalablement constaté qu'ils produisent un bon résultat ». En 1825, un petit litige apparaît entre le directeur d'Indret et le Commissaire de Nantes à propos de «  l'enlèvement des vases que les marées du mois d'août déposent ordinairement en avant et en arrière des coursiers du moulin » qu'il ne faut pas confondre avec « le curement des autres parties du bassin  » et «  que ces deux opérations qui doivent être considérées séparément réunissent le même degré d'urgence ».

Mais ce n'est là que le chant du cygne car deux mois plus tard, le Ministre annonce la fin probable de ce site : « mais vous voudrez bien leur recommander de nouveau de ne rien négliger pour me transmettre avant le 1er Décembre prochain, le travail que j'ai demandé sur la question de savoir si le moulin à forer doit être conservé ou s'il convient de le remplacer par une forerie mise en mouvement par des chevaux ou par une machine à vapeur  ». Si quelques velléités se manifesteront encore pour tenter de sauver ce bâtiment en procédant à l'exhaussement des digues, le coup fatal sera porté en 1828 lorsque le Ministre décidera de transformer la fonderie d'Indret en manufacture de machines à vapeur. Philippe Gengembre qui deviendra le premier directeur de cette nouvelle usine, venu sur place pour définir les travaux à réaliser en vue de cette transformation condamnera sans appel en quelques lignes la forerie dans l'un de ses trois rapports : « Le bâtiment n° 4 contient un appareil de roues à aubes qui étaient mises en mouvement par les eaux d'une retenue formée sur le bras gauche de la Loire et qui se remplit à chaque marée. Par l'effet du temps et aussi par défaut de soins, les vases se sont accumulées dans ce bassin à un tel point que les eaux suffisent à peine pour faire marcher les roues pendant 4 heures par jour, terme moyen. Une force aussi irrégulière, exposée à des chômages journaliers, variables et aussi incommodes, ne peut en aucune manière, convenir à une usine de l'espèce de celle qu'il s'agit de former à Indret ; il est en outre à considérer que la forerie hydraulique étant en dehors et à une assez grande distance de l'enceinte fermée de la manufacture, on ne pourrait en faire usage sans de graves inconvénients, il est bien préférable d'y renoncer. La retenue devenant dès lors inutile il y aura lieu d'examiner plus tard quel sera le meilleur parti à prendre, soit de laisser combler le canal qui existe le long de la prairie, soit d'enlever toutes les retenues afin de fournir au bras gauche de la Loire un libre passage, changement qui sous le rapport de la salubrité aurait probablement de grands avantages. Les moyens d'exécution, dans l'hypothèse qui sera admise, seront étudiés à loisir ».

Le Ministre entérinera la totalité des suggestions faites par Gengembre : « Toutes les dispositions proposées dans ce rapport m'ayant paru propres à atteindre le but qui vous était indiqué », ce sera le glas. Dans les deux autres rapports qu'il fit, s'il y a une profusion de détails sur les travaux et modifications à effectuer sur le site d'Indret, pas un seul mot n'est écrit sur la forerie hydraulique alors que manège à chevaux et forerie à vapeur, eux, sont évoqués pour fixer leur sort.

Quinze ans plus tard, sur le site, sera construite la chapelle Ste Anne qui fut désaffectée en 1976. Elle sera construite en conservant 3 des murs existants, seul le mur sud sera déplacé vers le nord, raccourcissant ainsi la longueur totale de l'édifice. A l'heure actuelle, le bâtiment est devenu propriété de la commune d'Indre et des fouilles sont effectuées par l'union régionale Rempart des Pays de Loire et l'Association Pour la Recherche Historique des Iles d'Indre. Ces fouilles ont permis de redécouvrir les soubassements de l'ancien bâtiment, les murets qui soutenaient la dalle de béton de la chapelle et les claveaux de granit taillé qui correspondent aux passages d'eau des fosses pour les roues à aubes. D'autres fouilles sont prévues qui permettront de mieux connaître ce bâtiment dont Turgan écrivit entre 1866 et 1869 : « Aujourd'hui, il ne reste plus trace du moulin à eau ».

Il est à souhaiter que sa restauration soit entreprise sous peu et lui permettre de reprendre vie. Nos amis de Basse-Indre apportent une attention toute particulière à ce dossier pour parvenir à une telle solution. Ainsi tel le Phénix renaissant de ses cendres, peut-être aurons-nous la chance de voir cette ancienne forerie de canons devenue un beau jour, lieu de culte, se transformer en site mettant en valeur notre patrimoine local.