Indret : Une fonderie de canons ( 1777 - 1828 )



La première voie ferrée de France ?



Ouvrage d'Agustin de Bétancourt



Ce que l'on sait sans doute le moins à propos de cette nouvelle fonderie qui s'est implantée à Indret concerne l'implantation de voies ferrées pour desservir les points névralgiques de l'usine. C'était une technique tout à fait nouvelle à cette époque en France.
L'ampleur de l'innovation peut se mesurer avec ces simples chiffres :
- 7294 pieds de rails en fer coulé soit un total de 2369 mètres auxquels s'ajoutent 94 toises supplémentaires pour doubler les parties courbes (éviter ainsi que les roues des chariots ne sortent point de leur direction)
- Cette longueur de voie a nécessité 170 185 livres de métal soit près de 85 tonnes d'acier fondu.
- « Des wagonnets se déplacent sur ces rails véhiculant minerais, charbon, pièces en cours de fabrication et permettent à un seul cheval de transporter 50 quintaux sans que celui-ci n'éprouve de difficultés particulières ».

Durant le demi siècle d'activité de l'usine, cette technologie provoquera de nombreux soucis pour ses dirigeants et pour le ministre concerné essentiellement par les nombreuses - et parfois coûteuses - réparations nécessaires.
En 1823, on commencera à se poser la question de la justification de leur emploi : « On pourrait absolument parlant, se passer de chemins ferrés pour le transport des canons d'une usine dans l'autre, quoiqu'il faille convenir qu'ils offrent des moyens on ne peut pas plus faciles pour tous les chemins que doivent parcourir les canons ».
Malgré cette hésitation, l'intérêt provoqué par cette technique l'emportera : « Sous ce nouveau rapport, nous pensons qu'il convient de faire refaire à neuf la partie de ces chemins qui est désignée dans le projet des réparations à exécuter en 1823, parce que les chariots qui se meuvent sur ces mêmes chemins, fournissent les moyens de prendre les canons sous la grue de la fonderie et de les transporter immédiatement sous les grues des foreries ; ce qui n'aurait pas lieu avec les triqueballes qui ne pouvant pas entrer dans les ateliers, nécessitent plusieurs chargements et déchargements et par conséquent l'emploi de plus de temps, et d'un plus grand nombre d'ouvriers et exposent évidemment à beaucoup plus d'accidents ».
Lors de la transformation de la fonderie en manufacture de machines à vapeur, Gengembre ne mentionne ce moyen de transport que pour quelques menues réparations. Toujours est-il que ces voies ferrées perdureront jusque dans les années 1960 où elles permettaient toujours l'entrée de pièces dans les différents ateliers à l'aide de plaques tournantes.

Jacques Charpy dans le Bulletin de la Société des Historiens du Pays de Retz n° 30 (2011) nous cite un extrait des mémoires de Pierre Toufaire qui nous éclaire sur les motifs qui ont amené Wilkinson à créer sur notre sol ce qui fut certainement la première voie ferrée implantée en France : « Rien ne doit plus occuper tout homme chargé d'une manufacture que les moyens de diminuer le nombre d'hommes et d'animaux à appliquer aux diverses maœuvres et surtout à celles qui se répètent journellement. Il faut à peu près à cet égard fermer les yeux sur la première dépense et ne voir que la diminution qui en résulte constamment dans celle de chaque jour, laquelle à force de se répéter égale et surpasse bientôt le prix d'un établissement bien entendu qui l'auroit évitée et n'en tient jamais lieu.
C'est dans cet esprit et pour rendre les transports faciles en tous temps avec un nombre de chevaux toujours égal et toujours modique qu'en Angleterre on s'est avisé de ferrer des chemins fort longs.
»



Dans l'esprit du XVIII° siècle, « les chaussées ferrées étoient par leur construction à l'abri d'être ravagées par le passage continuel des voitures », il n'est donc pas nécessaire d'apporter les mêmes soins à leur exécution. « Il suffit seulement que les pentes en soyent les plus longues possibles et bien dressées, que ces chaussées soyent assez solides pour que les pieds des chevaux ne les déforment pas de manière à les rendre impraticables ; qu'elles ayent un bombement qui jette les eaux des deux côtés dans deux fossés à l'ordinaire et que le fond ne soit pas susceptible d'enfoncement. ».
Sur ces voies, on dispose, perpendiculairement à leurs axes, des traverses de bois de 5 pieds de long (1,50m). Celles-ci sont espacées de deux pieds (0,60m) et enfouies de manière à ce que leur face supérieure viennent araser la surface du sol. « Il est essentiel que la face supérieure de ces bois soit de pente ou de niveau suivant le chemin et que chacun de ces mêmes bois soit solidement assis sur la chaussée et parfaitement garni de part et d'autre ». Pour confectionner ces voies, il ne reste plus qu'à poser, du moins dans le principe, « deux bandes de fer fondu dans la longueur du chemin dont elles occupent le milieu et à trois pieds ou environ de distance intérieure entre elles (0,90 m) ... Chaque morceau de ces bandes est de la longueur que l'on juge à propos de lui donner en ayant l'attention de faire tomber chaque joint au milieu d'une pièce de bois ». Ce sera donc sur « ces bandes de fer que portent et roulent les roues du chariot sur lequel on met les objets à transporter. Ces roues sont aussi de fonte de fer et elles ont une feuillure qui les engage dans l'intérieur des bandes susdites de manière qu'elles n'en peuvent pas sortir ».
Si cette nouvelle technique, simple dans son principe, ne présente pas de difficultés tant qu'il s'agit de lignes droites, il n'en est pas de même « lorsqu'il s'y rencontre des angles aigus, droits ou peu obtus ».
Deux principaux cas de figure peuvent se présenter :

Croisements à angle droit :

Lorsqu'une voie traverse le site de la fonderie et longe un atelier, il est nécesaire pour desservir ce dernier de faire tourner de 90° le chariot qui transporte le matériel, pour ce faire « on établit au point d'intersection ... une partie de chemin tournante » de forme circulaire sur laquelle se trouvent en croix les rails de circulation qui se situent sur « le même alignement de manière que le chariot quittant une des branches du chemin droit entre sans difficulté sur le plateau tournant, lorsqu'il y est engagé l'on contraint le plateau à tourner sur son pivot jusqu'à ce que les bandes de fer (en fait les rails) qu'il porte se trouvent vis-à-vis de celles de l'autre branche du chemin droit dans laquelle le chariot entrant sans difficulté continue sa route ».
« Pour établir ce plateau tournant, l'on sent bien qu'il est nécessaire de pratiquer au tournant de l'angle un enfoncement circulaire (dans le sol) propre à le recevoir ». Ce trou comme on le voit sur la vue ci-dessous est revêtu de maçonnerie et reçoit dans sa partie inférieure une crapaudine sur laquelle repose le pivot du plateau.
Surélevé par rapport à cette crapaudine un rail circulaire supporte les quatre roues permettant au plateau de manœuvrer facilement.

Premiers aiguillages :

Lorsque la voie ferrée doit desservir deux emplacements différents et qu'une plaque tournante ne peut remplir cet office, on a recours à ce que nous appelons de nos jours un aiguillage comme sur la vue ci-dessus. Deux courbes se séparent en destination des sites concernés mais comme les roues des chariots comportent une jante qui demeure à l'intérieur des rails, il est nécessaire de prévoir un dégagement pour éviter le blocage des roues.
«Il s'ensuit que les plate-bandes intérieures de l'enfourchement se croisent. Afin qu'il n'en résulte aucun obstacle pour le passage des roues du chariot, on pratique à l'intersection de ces bandes deux entailles suffisamment larges et profondes pour laisser passer librement la partie saillante de ces roues qui les contient entre les plate-bandes».
Pour orienter le chariot vers l'une des deux directions offertes, il reste à positionner correctement les deux rails mobiles internes A et B (on voit sur la vue ci-dessus - représentée en position intermédiaire - que le chariot ne peut aller dans une direction donnée) en agissant sur les boulons C, D, E et F : « les deux pièces (A) et (B) ne sont fixées sur les traverses de bois qu'aux points (C) et (D) ou (E) et (F) chacune par une cheville de fer rond autour de laquelle elles sont mobiles. Lorsque l'on veut conduire le chariot du chemin droit (1) sur l'embranchement (2) on pousse le bout ... de la plate-bande (B) contre la plate-bande du chemin droit jusqu'à ce qu'elle la touche ; l'on écarte au contraire le bout ... de la plate-bande (A) de l'autre bande du chemin droit de manière à laisser passer les roues du chariot librement ; avec cette préparation le chariot ne peut rouler sans passer sur l'embranchement (2), on fait le contraire pour le faire passer sur l'embranchement (3)».