Notre Commissaire s'empressera d'annoncer au Ministre des
Finances cette scandaleuse nouvelle. Et hop, 3 ministres sont maintenant
dans la course.
« Toujours tendu sur la recherche des énormes dilapidations
commises dans les forges et en garde contre tout abus qu'on tenteroit d'en
faire », il découvre en une semaine ces fers qui transitent
d'une façon qu'il considère comme frauduleuse et également que dans les
magasins de la commune de Chateaubriand « un dépôt de 100
millions de pareille nature provenant de la même source » avait
été fait. C'en est trop, il informera le Ministre de l'Intérieur de ces deux
faits. Si nous comptons bien, c'est désormais quatre ministres qui reçoivent
du courrier à ce sujet. Mais Demangeat (qui a des appuis, ne l'oublions pas)
se plaint auprès du Ministre de la Marine qui reste pour lui, le seul
concerné. Celui-ci écrit à son collègue de l'Intérieur et fait état du fait
que Demangeat se plaint d'« un abus d'autorité que vient
d'exercer à son égard le commissaire du Directoire Exécutif près le
département de la Loire Inférieure en mettant opposition dans la commune de
Babin à l'enlèvement de trente cinq milliers de fers venant des forges de
Moisdon sous le prétexte que le produit de ces forges sont affectés à la
fonderie d'Indret et que l'entrepreneur n'a pas le droit de les vendre au
Commerce ». L'affaire est grave et peut avoir des conséquences
importantes, il est donc de bon ton de vouloir s'informer. Le même jour,
Letourneux s'adresse aux Finances pour qu'une décision soit prise concernant
l'embargo qu'il a prononcé sur les fers saisis. Il doit craindre d'être allé
trop loin car il pose de nombreuses questions dans sa missive : «
Que deviendront d'ailleurs les fers qui sont arrêtés et consignés en
différents endroits ? Demangeat en aura-t-il la disposition ? Ou sera-t-elle
dévolue à la régie nationale ? Le Ministre de l'Intérieur a des instruments
aratoires à distribuer dans la Vendée. Y fera-t-il servir les fers en
question ? Ou seront-ils livrés au Commissariat Général ordonnateur à Rennes
qui en réclame 100 000 pour le ferrage des chevaux de l'année
». Il n'a pas tort de craindre les suites de cette affaire. Le 22
Thermidor An IV (9 Août 1796), il réunit les membres de l'administration
départementale et leur fait part du fait qu'il vient d'être informé de la
plainte d'abus d'autorité que le Ministre de la Marine semble appuyer. Il
s'insurge contre ce fait et tente de se justifier en donnant les raisons qui
ont prévalu pour informer tant de ministres.
Les courriers qu'il recevra par la suite du Ministère de la Marine sont loin
de vanter son initiative « Je suis loin, citoyen, de blâmer le
zèle qui vous a fait agir [...] mais si vous n'avez d'autre
motif à exposer aux réclamations du citoyen Demangeat, il ne sera résulté de
votre démarche qu'une entrave de plus dans les dispositions que prend cet
entrepreneur pour assurer le roulement des forges». Pourtant le
Ministère de l'Intérieur continue à appuyer notre Commissaire et finit par
influencer le Ministre de la Marine qui décide de créer « une
commission chargée d'examiner et de fixer l'objet des dénonciations portées
».
Cette commission sera composée de Fidèle Armand Garnier, négociant à Nantes,
Dacosta, fondeur à Nantes, Rapatel, Ingénieur du Département, Blanchard, attaché
aux travaux d'Indret et représentant du Ministre de la Marine, Nicolas Lejeune
et Bongérard demeurant tous deux à Châteaubriant.
C'est le 1er Nivose An V (21 décembre 1796) que le rapport fut établi. Il s'agit
d'un très long document qui effectue une analyse des faits et des conditions de
fonctionnement de l'établissement d'Indret et des forges de Moisdon. Mais c'est
une partie de l'introduction qui présente un premier intérêt. Il rappelle en
effet « comment le citoyen Demangeat n'ayant de son aveu aucune
connoissance sur l'exploitation des mines et les travaux de fonderie se
trouva subitement à la tête d'une entreprise aussi importante .
Le premier brumaire de l'an deux, les représentants du peuple
Gilette, Carrier, Ruelle, Merlin, Boursault, Fayau, Bellegarde, Thureau et
Maille, réunis à Nantes, prirent sur les observations du citoyen Capon alors
Commissaire du Conseil Exécutif l'arrêté qui casse le marché des anciens
entrepreneurs, destitue leur régisseur, et pour la continuation,
l'accélération même des travaux, nomme le citoyen Demangeat régisseur
provisoire de la fonderie d'Indret.
« L'incivisme et la négligence des entrepreneurs fut le motif de leur
destitution ; mais l'arrêté tend aussi à prévenir les vices qui résultent
nécessairement de ce mode d'exploitation, et pour empêcher que ces vastes
ateliers, ces machines précieuses, tous les bras qui y étaient enchaînés par
des réquisitions ne fussent à l'avenir employés au bénéfice des
entrepreneurs plutôt qu'au bénéfice de l'Etat. L'article deux porte que la
fonderie d'Indret sera régie et administrée au compte de la nation et le
Ministre de la Marine demeure chargé de l'approvisionnement .
Cette sage précaution devint bientôt inutile et trois mois après avoir été
nommé régisseur au compte de la République, le citoyen Demangeat devint
entrepreneur pour le sien par son traité du deux floréal de l'an deux
(21/04/1794) qui ne devait avoir d'exécution que pour
deux ans, mais qui a été prolongé jusqu'à l'an sept, par celui du onze
floréal an trois (30/04/1795) . Ces deux traités
livrent au citoyen Demangeat la fonderie d'Indret et les forges de Moisdon
« à des conditions dont nous devons examiner les
résultats et l'exécution ».
Le rapport devient assez vite critique et rappelle de suite que si le
Ministre veut surtout être informé sur les forges de Moisdon, le sort de la
fonderie d'Indret est beaucoup plus important. Les recherches ne sont pas
aisées car « il est impossible de dissiper les ténèbres dont
s'enveloppe cette entreprise ». Une première constatation
s'impose : le traité signé par Demangeat est « désavantageux à la
République ». Cette constatation est accentuée encore si on le
compare à ceux que signaient les anciens entrepreneurs à partir de 1786.
Après une longue analyse financière, une magnifique envolée lyrique sur le
sort d'Indret servira de préambule à l'analyse des agissements de Demangeat :
« Les renseignements qui nous sont parvenus doivent fixer notre
attention sur ce superbe établissement ; il est maintenant dans la plus
grande inactivité et si quelques années encore on abandonne aux mains
ignorantes qui le dirigent, toutes ces constructions sublimes qui attestent
la puissance et l'industrie de la nation, tous ces monuments du génie,
toutes ces utiles machines, produit miraculeux de l'application des sciences
aux arts vont s'anéantir sans ressources. C'en est fait d'Indret et ses
ateliers silencieux encombrés d'instruments inserviables n'indiqueront
bientôt plus que les restes d'une vieille forge abandonnée ».
Ce rapport sera accablant pour notre homme : « Il est inutile
d'observer qu'en matière de comptabilité comme en littérature un tel
désordre est souvent un effet de l'art ». Ainsi commence la
conclusion de ce document où il apparaît que Demangeat :
- est incapable de justifier d'une grande partie des fers et fontes produits
par les forges de Moisdon et qui auraient dû être livrés à Indret.
- « n'a point fait les réparations auxquelles il s'était engagé ».
- n'a pas rempli non plus les engagements qu'il avait pris dans les deux
traités qu'il avait passés avec l'administration.
- « est dans l'impossibilité de livrer un million de fontes par
an, et qu'il a trompé le Gouvernement en s'y engageant, ou qu'il l'a volé en
obtenant par un plus grand produit pendant qu'il a travaillé ».
Le coup de grâce sera donné lorsque les rapporteurs écriront :
« Ainsi le citoyen Demangeat est coupable de ne pas s'être mis en
disposition de remplir son second traité, il est coupable de n'avoir pas
rempli le premier, il est coupable d'avoir employé pour son compte des fontes
grises qu'il devoit fournir à Indret et dont rien ne constate le prétendu
défaut de qualité : il est coupable d'avoir vendu des fers qui appartenoient
à la République, il est coupable d'avoir laissé se dégrader la forge de
Moisdon, celle de Gravatel qui étoient confiées à ses soins, et qui sont,
surtout la dernière, dans un état de ruine totale ; il est coupable de
n'avoir point fait les réparations auxquelles l'obligeoient ses deux traités,
et ces traités, d'ailleurs qui gardent le silence, sur le prix auquel on doit
lui payer et ses fontes et ses canons sont si visiblement lésionnaires qu'ils
ne peuvent être considérés que comme une surprise fait au Gouvernement ».
C'est plus de quatre mois après que Demangeat réagira fortement en publiant
un manifeste qu'il fera imprimer à ses frais. Il commettra l'erreur de s'en
prendre personnellement à plusieurs membres de la commission. Elle était,
dit-il, « nommée & composée du citoyen Fidèle-Armand Garnier,
ancien régisseur du Prince de Condé aux Forges de Moisdon, & auquel on peut,
sans injustice, attribuer le désir de rentrer dans un emploi que la
révolution lui a enlevé ; du citoyen Dacosta, Fondeur à Nantes, antagoniste
prononcé de la Fonderie d'Indret, & que je sais être mon ennemi ».
Il parlera également d'un « homme dont l'insubordination étoit à
son comble ». Ces trois personnes lui répondront par la suite
en employant le même moyen de diffusion qu'il avait adopté.
Sa réponse laisse une impression de floue, un des hommes mis en cause lui
répondra : « Je ne veux point examiner si, comme on le dit, vous
enjambez le ruisseau, dans vos réponses ». Après s'être attaché
à reprendre pièce par pièce les arguments financiers développés par la
commission, ce qui peut toujours être à nouveau contesté, il clame bien haut
sa bonne foi mais sans apporter d'éléments nouveaux qui puissent permettre
de le blanchir. Une bonne partie de sa réponse n'est en fait composée que de
questions que les responsables nationaux et départementaux devraient se
poser pour, croit-il, juger équitablement la situation.
« Il ne me reste plus qu'à parler de ce qui m'est personnel. Je
sais que je ne suis ni méchanicien, ni Minéralogiste, & que s'il falloit
posséder ces deux connoissances pour bien administrer une Fonderie, j'en
serois incapable. Mais dans quels établissements sont-elles exigées ? Ne
suffit-il pas, pour faire marcher de pareils établissements, d'avoir de
l'intelligence & de bons ouvriers ? Suis-je à Indret pour créer de nouveaux
moyens de fabrication ? Pourquoi donc me supposer gratuitement l'intention
de sacrifier à mon intérêt la conservation des machines qui sont dans mes
mains & la récompense de mes ouvriers ? ». Sa conclusion n'est
qu'une longue litanie d'interrogations qui, en fait, n'apportent rien et ne
peuvent soutenir sa cause. Pire, il dit même que « Au surplus, si,
comme m'en accuse l'Administration, j'ai volé des fers à la République,
c'est aux tribunaux à me juger ; là il me sera permis de faire valoir mes
moyens de défense, d'y prendre à partie mon régisseur ». Ainsi,
il commence à se retourner contre son régisseur qui l'aurait trompé à son
insu. Ce régisseur qu'il a nommé lui-même en remplacement de l'ancien
assassiné, dit-il dans ce même document, et « que je ne
connoissois point & à qui je fus obligé de donner ma confiance ».
C'est un moyen de défense peu crédible pour un homme qui doit «
Neufs cent cinq milliers de fers que la République a perdues à Moisdon ».
Nous vous avons dit qu'il avait commis le tort de mettre en cause plusieurs
personnes. Celles-ci usant du droit de réponse ne vont pas s'en priver. Un
des principaux intérêts de ces réponses sera de faire apparaître le rôle
joué par un personnage dont aucune trace dans les archives n'apparaissait
encore : le propre frère de François Demangeat qui jouait en effet le rôle
de second dans les forges d'Indret. Cette appartenance sera confirmée
officiellement pour la première fois beaucoup plus tard (en fait en décembre
1803) dans un courrier où le Ministre de la Marine voulant disposer d'un
logement dans le château d'Indret écrira : « Le citoyen Demangeat,
informé de cette disposition me représente que son frère est son régisseur,
qu'il est chargé de la surveillance de tous ses ateliers, que dans les
absences fréquentes qu'il est obligé de faire pour le service, c'est lui qui
le représente à Indret où il est depuis dix ans ». Ce frère
sera le père d'Aristide Demangeat qui sera Maire de St Jean de Boiseau de
1832 au 16 septembre 1837 et du 2 novembre 1840 au 15 août 1851 où il
démissionnera.
Mais voyons plus en détail le rôle qu'il joua dans cette
affaire.
C'est Fidèle-Armand Garnier, l'ancien régisseur du Prince de Condé évoqué
plus haut qui, le premier, mit en scène ce frère : « Ensuite,
s'il était vrai que je conservasse le désir de rentrer dans la direction de
ces Forges, n'a-t-il pas tenu qu'à moi de me satisfaire ? Votre frère ne
m'en proposa-t-il pas la régie, lorsqu'il y accompagna la Commission ?
». Comment interpréter cette proposition à un membre de la
Commission ? Proposition qui est confirmée par le second acteur mis en cause
: Dacosta « L'imputation que vous faîtes au citoyen Garnier est
aussi indécente, puisque, pendant la durée de la Commission, votre frère lui
a plusieurs fois offert de se charger de la direction de Moisdon. Vous avez
donc grand tort de vouloir faire entendre que la perte de cette place a pu
déterminer le citoyen Garnier dans son opinion, pendant le cours de la
Commission. Le Public jugera facilement quel pouvait être le but du citoyen
votre frère, en nous faisant à l'un et à l'autre de pareilles offres
». Demangeat frère avait en effet rencontré Dacosta et avait
fortement insisté pour qu'il fasse partie de la commission alors que ce
dernier avait manifesté son intention de décliner l'offre qui lui était
faite pour « plusieurs motifs de délicatesse ». Il
avait pour cela promis le paiement de travaux que ce dernier avait effectués
pour Indret et qui n'étaient toujours pas réglés.
Dacosta continue donc en faisant apparaître le rôle d'observateur
particulièrement attentif que joua ce frère si dévoué : « Votre
frère était continuellement présent au travail de la Commission, aux
discussions, aux questions qu'on se faisait ; il ne la quittait pas plus que
son ombre, pas même la nuit, car il eut la précaution d'établir un matelas
pour lui, par terre, dans la chambre des séances, où deux membres
couchaient. Il a copié tous les jours son procès verbal, jusqu'au moment de
sa conclusion ».
Mais le troisième homme mis en cause, cet « homme dont
l'insubordination étoit à son comble » qui n'était en fait ni
plus ni moins que le Directeur des travaux de la fonderie d'Indret, le
citoyen Ramus, artiste comme il se plaisait à se dénommer met à son tour en
cause le frère Demangeat. On sent le mépris poindre au travers de ses propos
« Votre frère, en effet, votre frère, qui dirige l'établissement
d'Indret, votre frère, qui avait consacré sa jeunesse au service des autels,
n'avait pas sans doute obtenu le pouvoir de célébrer canoniquement les
saints mystères, par des études analogues au métier qu'il fait aujourd'hui :
aussi, quand il abandonna le sanctuaire pour passer dans des ateliers, il
avouait bonnement de son inexpérience et son incapacité. Mais, depuis, il a
sans doute, comme le citoyen Bonet, acquis de grandes connaissances ; et le
caractère ineffaçable dont ils étaient l'un et l'autre revêtus, les grâces
célestes qu'ils ont reçues, valant bien mieux qu'une longue expérience et
des études suivies, il faut convenir que les Artistes sont inutiles à Indret
». Ainsi donc ce frère qui, selon Ramus, «
cherchait à capter par de sottes flagorneries les citoyens Dacosta et
Garnier » semble faire l'unanimité contre lui. Ses tentatives de
se concilier les bonnes grâces des membres qu'il devait juger comme les plus
influents de la commission, sa volonté d'observateur très attentif pour ne
pas dire plus lui attirèrent les foudres de ceux qu'il tenta d'amadouer
avec, on peut le supposer, l'aval du premier intéressé. C'est encore ce
frère présenté comme vindicatif toujours par Ramus qui diminuera subitement
de moitié le traitement de ce dernier et lui proposera cinq mois plus tard
« la surveillance du raccommodage des outils de fonderie ;
proposition qui me paraissait moins déplacée que perfide, parce qu'il
m'avait dit, que les ateliers une fois montés et les ouvriers formés, je
devenais dès lors inutile ».
Ramus, excédé, charge indifféremment les deux frères et apporte quelques
lumières sur les événements de l'époque si son témoignage peut être
considéré comme crédible.
Tout d'abord la venue à Indret de François Demangeat. Après avoir très
brièvement évoqué les anciens administrateurs d'Indret il continue : «
on annula leur marché ; et les représentants du Peuple à Nantes, dont
vous étiez le secrétaire, vous confièrent la régie de l'établissement
d'Indret ». Cela est lourd de sous-entendus.
Ensuite sur le climat qui régnait à Indret : « Comment aurais-je
pu être insubordonné, citoyen Demangeat ? pendant deux ans, il fallait dans
vos ateliers obéissance ou la mort. Fort de l'autorité des Représentants qui
vous favorisaient, vous répétiez que vous dénonceriez quiconque serait assez
hardi pour vous contrarier, et qu'il serait guillotiné le lendemain ».
La seule affaire disciplinaire dont nous avons retrouvée trace concerne un
groupe de canonniers et de forgerons qui détournèrent quelques pipes de
charbon à leur profit. Absolument aucune trace de position de Demangeat n'a
été retrouvée sur cette affaire qui eut pourtant des conséquences
importantes pour certains canonniers qui durent en punition continuer leurs
services sur les vaisseaux de la République avec tous les risques que cela
comportait. Alors vérité donnée par Ramus ou excès de langage ? Les propos
semblent toutefois assez sévères d'autant que le 26 septembre 1814, le
Commissaire du moment écrira dans un courrier qu'« il s'est
toujours montré bon et très humain pour ses ouvriers ».
Toute cette prose concernant cette affaire de fers détournés se déroule au
milieu de l'année 1797. Bizarrement, plus aucun écrit la concernant
n'apparaît. Mieux, Demangeat semble toujours bénéficier de la confiance du
Ministre de la Marine car les écrits sur le fonctionnement d'Indret le
montrent d'une manière indubitable. C'est si vrai que le 19 Floréal An VI ou
8 mai 1798 il signe un nouveau contrat pour assumer la charge de
l'établissement pour une durée de « neuf années consécutives
». Ce contrat nous révèle que les précédents deviennent caducs,
notamment celui du 14 messidor an V soit du 2 juillet 1797. Ainsi donc, en
pleine crise, François Demangeat signe un autre contrat avec
l'administration. Ce dernier n'a pas été retrouvé à ce jour. Toutefois
celui de 1798, plus court que les précédents (il ne comporte que 16 articles
au lieu de 22 pour les précédents) apporte quelques lumières. S'il est plus
court, il est désormais plus précis, ainsi des tarifs sont désormais fixés
pour les fournitures de charbon, de fontes ou de canons. Si Demangeat
continue à bénéficier des emplacements d'Indret « sous la simple
obligation d'y travailler pour la Marine » et de Moisdon, le
loyer de ces dernières forges est désormais fixé à la livraison à Indret d'
« un million pesant de fontes en lest pour vaisseaux ».
C'est donc un avantage supplémentaire qu'il tire de ce traité car les fontes
pour lest sont celles de moindre qualité qui ne peuvent servir à la coulée
des canons. En outre il « sera libre de travailler à Indret pour
le commerce toutes les fois qu'il ne pourra en résulter aucun retard pour
les commandes qui [lui] seront faites par la marine, ni aucune
entrave de service ». S'il continue à y affecter tous ses biens
présents et à venir il se « soumet en outre à être traité comme
entrepreneur des travaux publics et en conséquence à ce que toutes les
contestations qui pourroient s'élever à l'occasion de cette entreprise et
qui seroient de nature à être portées devant les tribunaux soient déférées
à l'administration centrale du département de Loire-Inférieure ».
Demangeat aura donc su, malgré la tourmente qui a fait
rage autour de lui, tirer son épingle du jeu. Mieux, il en sortira non
seulement vainqueur mais en tirera des avantages supplémentaires puisque son
prochain traité lui est encore plus bénéfique. En août 1800, il continuera à
réclamer contre la délibération qui avait été prise sur sa gestion des
forges de Moisdon et d'Indret. Le nouveau ministre demandera au Commissaire
de Nantes les éléments de réponse pour s'assurer :
« 1°) si les diverses incursions faites par les chouans et les
troubles provenant du pays ont nuit aux opérations de l'entrepreneur, de
manière à ne lui permettre de fournir en deux années que 932 000 livres
de fonte.
2°) si les fabrications qu'il a faites en sus n'ont pas été plus que
suffisantes pour l'indemniser des dépenses qu'il a dû faire pour la
fabrication et le transport à Indret de cette partie de fonte.
3°) enfin, si l'entrepreneur étoit fondé à ne point se considérer ainsi
qu'il le croit, comme responsable des fers qui existoient dans les magasins
et si le déficit peut être entièrement attribué au pillage des chouans ».
Las, ce dernier, lui aussi nouveau, répondra : « Je vais, Citoyen
Ministre, me livrer à l'examen de cette affaire ; il sera d'autant plus long
et plus pénible que pour m'éclairer sur les trois points principaux sur
lesquels vous désirez que porte mon rapport, je serai obligé de chercher des
renseignements qu'il me sera peut-être bien difficile de me procurer ; je ne
puis en attendre d'aucun de mes collaborateurs ; car eux-mêmes qui servoient
à Nantes pendant les années II et III m'ont assuré que la marine qui
antérieurement à l'an II étoit en quelque sorte chargée de l'administration
d'Indret, n'avoit pas même été appelée à concourir à la formation d'un
inventaire qui fut fait à cette fonderie lorsque cet établissement passa
sous la dépendance de la Commission des Armes ».
Le flou le plus total règnera désormais sur cette affaire qui apparemment
tombera dans les oubliettes. Demangeat ne sera plus inquiété. Il continuera
à assurer la gestion des forges en question sous l'Empire. C'est en fin
d'année 1814 que l'on apprend dans un courrier ministériel «
qu'il en cesserait l'exploitation à compter du premier janvier prochain 1815
». A cette époque Napoléon est sur l'île d'Elbe, Louis XVIII
est de retour momentanément et les choses ont changé. Ainsi, n'oublions pas
qu'avant la Révolution, les forges de Moisdon et de Gravotel appartenaient
au Prince de Condé. Ces biens ont été restitués à la famille royale et
Demangeat n'en a plus la jouissance pour livrer des fontes à Indret.
Pour des questions d'inventaire à établir, la date de cessation d'activité
sera repoussée au moins jusqu'au 1er février 1815. La date exacte ne nous
est pas connue. Le 21 avril nous trouvons un courrier qui indique : «
Le sieur Demangeat qui a été consulté pour savoir s'il continuerait
l'exécution des constructions sur Indret malgré la résiliation de
l'entreprise de la fonderie a déclaré ne vouloir s'en charger ».
Il est certain qu'en mai, il n'est plus là, Perrodeau ayant pris la suite.
Mais le déclin de la fabrication des canons est amorcé depuis quelques temps.
Indret continuera à dépérir (en 1816, il n'y aura que 28 personnes en allant
de l'Inspecteur Général au palefrenier). Ce déclin amènera la mutation de
1828.