Lors de la création de la fonderie de canons, les
décideurs de l'époque voulurent que cette nouvelle usine soit à la pointe du
progrès dans ce domaine. La France avait effectivement cruellement besoin
depuis la guerre de sept ans d'une nouvelle marine épaulée par une
artillerie forte. C'est pourquoi, il fut fait appel à un anglais qui
maîtrisait une technique de moulage permettant des gains substantiels de
temps. En outre, la qualité des fontes anglaises était reconnue et devait
permettre de réaliser un produit fini dont les vertus devaient être sans
rivales, sur notre territoire.
Wilkinson vint donc dans notre contrée et assuma la mise en place des moyens
nécessaires et la première direction du nouvel établissement. Il n'y restera
que peu de temps, en 1781 il avait quitté les lieux et se trouvait remplacé
par un représentant de la Maison des Wendel, fondeurs de la Moselle qui
devaient créer l'usine du Creusot et dont le sort devait plus ou moins être
lié à celui d'Indret, du moins dans ses débuts.
Mais déjà un problème était apparu, la dépendance d'Indret pour ses matières
premières vis-à-vis de l'Angleterre. Des solutions diverses allaient être
proposées et voir des débuts d'application. C'est avec la Révolution que
l'acuité du phénomène devint cruciale. Il était désormais hors de question
de s'approvisionner dans un pays avec qui nous étions une fois de plus en
guerre. Parmi les solutions de repli déjà évoquées, l'une d'elles consistait
à recourir aux fontes de Dordogne. Hélas, celles-ci se révélaient fort
chères de par leur transport. Il fallait donc recourir à une autre source.
De la Mothe qui était alors directeur de la jeune fonderie mena une enquête
auprès des forges de Moisdon sises dans le nord du département.
Incontestablement les coûts relatifs au fret se trouveraient réduits à leur
portion congrue puisqu'il suffisait de charger la précieuse marchandise sur
une charrette jusqu'à Nort, de là elle voyagerait sur l'Erdre jusqu'à la
chaussée de Barbin à Nantes, un simple transfert permettrait alors de la
retrouver voguant sur la Loire qui desservait ainsi directement Indret.
Pourtant « la qualité des fontes (de Moisdon) étoit
inquiétante quoique supérieure à celle des forges voisines ; son plus
ordinaire emploi étoit pour l'agriculture et la clouterie et les ouvrages de
décoration, on n'avoit point encore tenté d'en faire des canons ».
De la Mothe, néanmoins, croit à cette alternative. Le 11 Février 1793, il
rédige un rapport destiné aux autorités dans lequel il mentionne entre
autres : « Un fourneau comme celui de Moisdon peut fournir toutes
les 15 heures une gueuse de 2 500 livres et pendant 20 mois de son
fondage 2 400 000 avec lesquelles on fera 461 canons de calibre de
18 pesant 4 200 livres, où son produit sera par an 276 canons de 18
». Après avoir assuré que : « la fonderie d'Indret peut
forer en employant tous ses moyens de forerie 480 pièces de 18 »,
il conclut : « Voilà donc dans cette seule forge la plus
approximée d'elle plus de la moitié de son aliment ».
Continuant son expertise, il expose que : « Il lui reste la
ressource des vieux canons de fonte et ceux qu'on peut prendre sur l'ennemi,
les fontes que peuvent se procurer les Entrepreneurs dans le Périgord, le
Nivernais, ce qui fera bien le reste de l'autre moitié pour fondre 480
pièces de 18, et sans le secours des fontes de l'Angleterre ».
Le souci de devoir s'approvisionner en fontes dans un pays étranger est donc
écarté.
Reste, toutefois, celui de la qualité des matières premières que doivent
fournir les forges de Moisdon.
Afin d'améliorer la qualité des fontes finales en procédant à un alliage
judicieux de celles provenant des autres ports et celles des canons rebutés,
il faut, dit-il : « que la mine soit tirée plus à gris ; pour
l'obtenir il faut seulement faire supporter au charbon moins de mine que
pour la fonte qu'on veut convertir en fer forgé ,».
Il déploit alors tout son talent pour expliquer comment parvenir à un tel
résultat : « Pour savoir si les fontes de la forge de Moisdon
seroient bonnes à l'alliage des canons de la marine, il faudrait dans ce
moment que le fourneau est encore en feu, qu'il soit ordonné d'y couler des
fontes moins aminées, que les charges de mines et de charbon soient
constatées en présence de personnes nommées à cet effet ; que content du
gris et de la ténacité de la fonte, il en soit passé à Indret pour y faire
un canon allié moitié de vieux canons venant des Ports, un autre allié à
moitié avec de la fonte de Périgord, que les canons soient soumis à une
épreuve forcée, qui puisse constater de la solidité de cette matière et de
l'avantage qu'il y aurait d'employer cette forge à fournir à l'aliment
d'Indret [...]
Si la fonte était reconnue de bonne qualité pour la fabrication de
l'artillerie et que le produit de ces fontes fut plus que suffisant pour
fournir à Indret la moitié de son aliment, on pourrait y fondre quelques
canons pour la marine marchande qui pourraient se forer à la forge de la
chaussée [...] plus haut établie sur la route de la Meilleraye
à Chateaubriand.
Si la fonte de cette forge, après ce que j'ai indiqué ci-dessus est reconnue
propre dans les alliages que je propose, à faire de bons canons, elle peut
être exploitée au compte de la Nation, ou passée à Bail aux Entrepreneurs de
la fonderie d'Indret qui auront doublement intérêt à ce qu'elle ne fasse que
des matières propres à l'aliment de la fonderie d'Indret qui est la seule
qui puisse fournir avec le plus de célérité des canons à la Marine ».
Ainsi donc, Indret est la seule fonderie capable de fournir de bons canons
en un temps aussi court à la Marine !
Comment concrètement y parvenir ?
Pour obtenir une fonte correcte, il proposera de faire des
essais de coulée dans cette fonderie qui appartenait à la République
puisque, ancienne propriété du Prince de Condé, elle fut confisquée comme
bien d'émigré. Quelques jours plus tard, le vendredi 22, accompagné « ,
du citoyen Léonard ouvrier en chef de la fonderie d'Indret »,
il se rend sur les lieux, nanti des autorisations nécessaires, inspecte les
lieux, note la présence de « deux hauts-fourneaux, d'un gros
marteau, de deux affineries et d'une chaufferie avec une fonderie ».
Dès le dimanche, Il se livre de suite à des premiers essais en procédant, à
partir des fontes déjà réalisées à Moisdon, à des dosages de plus en plus
précis des différents constituants de la matière. Ainsi en 48 heures :
Soucieux d'améliorer la qualité des fontes, il diminua d'emblée le
nombre de « bâches de mines (caisse employée pour
jeter le minerai dans le haut-fourneau) » de 11 à 10 pour une même
quantité de charbon et de castine. La gueuse de fonte obtenue ne montra
« aucun changement dans le gris et le grain de la matière
parce que c'était encore le produit des anciennes charges de mine ».
Un second essai avec les mêmes proportions ne donna pas plus satisfaction.
Le nombre de bâches fut alors réduit à 9. Un prélèvement fut effectué par
cassure et montra que la fonte obtenue était « d'un grain ouvert et
d'un gris plus foncé ». Après avoir « entaillé la
gueuse à la tranche et au ciseau, elle a montré la plus grande douceur, ce qui
nous a engagés à arrêter la diminution de mines sur la charge du fourneau ».
Plusieurs coulées furent alors effectuées dans les mêmes conditions
et il obtint ainsi 48 petites gueuses « du poids d'à peu près
90 à 95 livres que nous avons préférées à de grandes gueuses pour être
charroyées par les chevaux de somme des charbonniers, vu l'impossibilité
de les faire transporter par voiture, les chemins de terre étant
impraticables par les pluies continuelles qui les ont rompu totalement ».
Ces différents essais avaient nécessité une dizaine de coulées
différentes pour près de 12 000 livres de fontes obtenues. De la
Mothe rejoignit alors Indret, rédigea son rapport et fit des
propositions pour tenter d'améliorer encore les produits obtenus : «
pour avoir une fonte encore plus douce, plus grise et par conséquent
plus propre à la résistance que doivent avoir les canons. Ce serait de
réduire la charge à 8 bâches et de supprimer le tiers de mines froides
qui composent la charge du fourneau, en mettant moitié mine chaude et
moitié mine froide ».
Ce rapport fut rédigé le 4 mars 1793. Six jours plus tard,
suite à la décision de lever 300 000 hommes pour les armées, ce fut le
soulèvement général dans la région. La contre-révolution était commencée.
Les soucis furent alors d'un autre ordre (les forges de Moisdon seront du
reste prises par les forces chouannes en 1795) et ces essais durent
vraisemblablement être remis à une date ultérieure. Plus aucune trace n'en a
été retrouvée à ce jour. Pourtant, il est logique de penser que les rapports
ne furent pas perdus et que la production fut encore améliorée par la suite,
la réputation des fabrications d'Indret est là pour le laisser entendre.
Agustin de Béthencourt, ingénieur espagnol, qui vint à Indret écrivit en 1791
que la qualité du fer des canons, qui sont fabriqués à Indret, est douce,
sans grain et facile à travailler. Puis il mentionne quelques lignes après
que les avantages obtenus sur les nouveaux canons furent tels que la Marine
émit le vœu de voir remplacer tous ses canons.