La forerie hydraulique implantée dès la création de la
fonderie montra très vite ses limites. Conçue pour un nombre limité de
forages simultanés, elle ne put faire face à la demande. La courbe de canons
non forés que nous montrons sur la page qui lui est concernée est
suffisamment explicite. En outre, son alimentation en eau restait tributaire
d'un vaste réservoir qu'il fallait alimenter lors de chaque marée. Elle ne
pouvait donc rester opérationnelle qu'une partie de la journée qui ne
correspondait donc pas nécessairement au créneau des heures normalement œuvrées.
Il convenait donc de faire face à cette situation alors que la présence d'un
manège à chevaux entraînant une autre forerie ne s'avérait pas suffisante.
Le recours à une force motrice parfaitement maîtrisable devenait impératif.
La vapeur qui commençait à pointer le bout de son nez allait contribuer à la
naissance d'un nouvel atelier dans cette jeune fonderie. Pourtant alors que
Watt, en 1782, venait de faire breveter une machine à vapeur à double effet,
ce sera une machine à simple effet qui sera installée à Indret. Cette
décison qui n'assure pas une régularité parfaite de mouvement car la vapeur
n'est pas la force motrice mais le moyen de soulever un énorme balancier
dont le poids, lors de la redescente, sert effectivement de force, va à
l'encontre des priorités retenues lors de la décison d'implanter une forerie
hydraulique.
C'est le 22 mai 1786 qu'une soumission fut faite par le
sieur Périer qui disposait d'ateliers à Chaillot dans la région parisienne
en vue de réaliser « une machine à feu destinée pour le
service de la fonderie d'Indret ». Celle-ci devait être constituée de :
Un balancier de 17 pieds de long (5,52 m).
Un cylindre de fonte de 36 pouces de diamètre (0,975 m) sur 6 pieds
(1,95 m) de levée de piston.
Un régulateur en fer forgé.
Une chaudière en cuivre rouge de 12 pieds de long (3,9 m), 6 de
large et 6 de hauteur.
Un réservoir en bois de 7 pieds de long (2,27 m) sur 6,5 pieds
(2,11 m) et 5 pieds (1,625 m) de hauteur.
Un volant en fer de fonte de 10 pieds de rayon (3,25 m) pesant 10 000
livres (4895 kg).
... et de tous les accessoires nécessaires.
Le soumissionnaire déclare en fin de son engagement : «
lorsqu'elle aura été jugée de toute solidité par les
personnes préposées à cet effet, il me sera payé une somme de quarante cinq
milles livres, non compris les frais de transport de Paris à Indret qui
seront au compte du Roy ».
Ce n'est qu'au mois de septembre que le Ministre commence à tirer le signal
d'alarme pour la réalisation du bâtiment qui doit abriter cette nouvelle
machine qui doit être livrée, estime-t-il, pour le printemps prochain. Il
autorise donc un crédit à cet effet qui « ne monte pas
à plus de 7 à 8 000 livres de dépenses ».
Décembre arrive et le Ministre trouvant que les dépenses prévues commencent
à être bien au-delà de ce qu'il espérait commence à donner des directives
plus strictes : Le Roi à qui les devis ont été présentés «
a bien voulu approuver les projets de bâtisse à l'exception cependant du
canal de navigation auquel il faudra substituer un petit ruisseau qui puisse
fournir au rafraîchissement de la pompe à feu ».
Par ailleurs, un frein est mis à cette frénésie de dépenses puisque
désormais « les ouvrages dont il s'agit [seront]
annoncés avant de procéder à leur adjudication ; vous
voudrez donc bien vouloir faire afficher des placards à cet effet et
recevoir les soumissions des différents entrepreneurs qui pourront se
présenter, vous me ferez passer ensuite ces soumissions ».
Au mois d'avril suivant, les plans de la nouvelle bâtisse
qui devait abriter la pompe à feu seront adressés au Ministre. Il faudra
attendre encore plus d'un mois pour que ceux-ci soient finalement agréés
mais l'autorité royale décide néanmoins « que le sieur
Auger seroit chargé de cette entreprise, vous pouvez l'autoriser à faire
mettre sur le champ la main à l'œuvre », conclut-elle. Un fonds de
100 000 livres sera débloqué pour cette réalisation mais celle-ci devra
s'effectuer « sans aucunes décorations ni superfluités
d'aucun genre ».
De Wendel et Périer se rendront sur le site pour y arrêter tous les détails
nécessaires à la construction de cet atelier et concourir à ce que les prix
de revient soient aussi réduits que possible en cherchant à utiliser des
matériels existants. C'est ainsi qu'à proximité imédiate de la fonderie
existait depuis fort longtemps un dépôt de bois réservé pour la construction
des bâtiments de la flotte et qu'une dérogation fut accordée pour les
utiliser dans la construction de la forerie à vapeur alors qu'il fut reconnu
qu'il était « très fâcheux que les vingt-quatre pièces
précieuses dont il s'agit ne suivent pas leur destination primitive mais
puisqu'on ne peut se flatter de les trouver ailleurs et que l'accélération
des ouvrages importants d'Indret en dépend, je vous autorise à les faire
délivrer aux entrepreneurs », écrira le Ministre.
Début juillet 1787, le devis est arrêté à la somme de 72 667 livres 13
sols et 4 deniers et le bâtiment devrait être terminé pour le mois de
septembre mais quelques petits soucis vont apparaître.
Tout d'abord un différend va opposer les constructeurs du
bâtiment à leur maître d'œuvre. Le conflit sera tel qu'il «
a déterminé le premier à reprendre ses plans et devis et à quitter Indret de
manière que ces entrepreneurs ont renvoyé la plus grande partie de leurs
ouvriers et que le bâtiment destiné à recevoir cette machine ne se continue
pas ». Il faudra toute la diplomatie du Commissaire de Nantes pour
régler ce problème car le « sieur Bourne »
architecte, chargé du bâtiment, est accusé de lenteur excessive dans la
remise des plans nécessaires à la confection de cet atelier et les
entrepreneurs ne sont donc pas capables d'exécuter les travaux. Cette
situation n'empêchera pas Bourne en avril 1788 de recevoir des honoraires
égaux au 1/20 du devis établi pour la réalisation de ce bâtiment soit la
coquette somme de 36 233 livres 7 sols 8 deniers.
Autre sujet préoccupant, cette forerie à vapeur a besoin d'eau pour son
fonctionnement. Il avait été question d'aménager un canal à cet effet. Mais
devant les sommes qui commencent à s'ajouter de manière alarmante pour le
Ministre, le Roi, en décembre 1786, a refusé cette dernière réalisation et
« il faudra substituer un petit ruisseau qui puisse
fournir au rafraîchissement de la pompe à feu ». Ce sera donc un
puits qui emplira cet office. En avril 1787, le commissaire de Nantes vient
d'apprendre que des canonniers doivent arriver à Indret pour procéder aux
épreuves de canons. Il propose de les affecter dans un premier temps à
creuser le fameux canal de rafraîchissement qui avait été projeté, ce qui
permettrait de réaliser celui-ci à moindre frais. Cependant, doutant de
leurs capacités dans le domaine de la construction, il redoute qu'ils «
ne fissent de mauvaise besogne et ne jetassent le Roy
dans des dépenses considérables pour les fréquentes réparations qui
pourroient avoir lieu si cet ouvrage n'étoit pas fait avec toute la
précaution et solidité qu'il exige ». En juillet, de Wendel vient à
Indret en tant qu'expert et constate que les moyens supplétifs envisagés
sont nettement insuffisants. Il préconise avec force le creusement du canal
qui avait initialement été projeté et obtiendra gain de cause puisque
l'utilité « a été reconnue indispensable et l'on ait
nécessité d'y revenir sans quoy la pompe à feu deviendroit inutile ».
Le puits qui était déjà réalisé à moitié sera toutefois maintenu car il
s'avérera très utile aux besoins du nouvel établissement selon les
dirigeants. Les travaux purent alors commencer ... pour être retardés en
octobre suite à un important éboulement de terres occasionnant une perte
pour les entrepreneurs estimée entre 700 et 800 livres pour réparer les
dégâts.
Agustin de Béthencourt écrira à propos de cette forerie
qu'il s'agissait d'un "nouveau et magnifique atelier". L'ancienne forerie,
continue-t-il, nécessitait 160 heures de travail pour forer un canon de 36,
soit un total de 75 par an si l'on compte 10 mois de travail à raison de 10
heures par jour. La nouvelle a été conçue pour sortir 300 unités annuelles.
Quand 10 hommes de la forerie hydraulique forent 4 canons, 13 en forent 7
dans la forerie à vapeur dans le même temps. Encore, souligne-t-il que la
puissance de cette forerie a été calculée trop juste car pour forer en même
temps 7 canons de 36 (le plus gros modèle pour cette fin de XVIII° siècle)
il faut pousser les feux et l'injection de vapeur pour que la machine ne
ralentisse pas. Pourtant au moment de cette réalisation, Watt avait déjà
déposé un brevet pour une machine à vapeur à double effet, ce qui n'était
pas le cas à Indret, cette solution aurait permis une production encore
plus importante.
Selon ses dires, l'ancienne forerie avec l'aménagement de ses deux digues a
coûté 4 800 000 réaux (1 livre française de l'époque vaut environ
23,3 réaux) alors que la nouvelle construction n'est revenue qu'à
1 400 000 réaux. En outre, s'il estime à 240 000 réaux le
coût de revient annuel de l'ancienne forerie, il n'est plus, à conditions
égales, que de 75 800 pour la nouvelle. Il convient de rappeler que
cette analyse n'est postérieure que de 10 à 11 ans à la mise en service de
la forerie hydraulique. Enfin, cette nouvelle forerie :
- fonctionne de façon plus régulière et n'est pas soumise aux phénomènes
naturels que sont les maréees.
- est d'une fiabilité nettement supérieure, ses pannes étant moins fréquentes.
En 1828, Philippe Gengembre viendra à Indret pour décider de l'avenir
des bâtiments de l'établissement et de sa transformation en manufacture de machines
à vapeur. Son jugement vis-à-vis de la forerie à vapeur sera sans appel «
elle aurait besoin de très grandes réparations pour être mise en état de
fonctionner, et il sera de toute manière plus économique de la remplacer que de
chercher à l'utiliser. La chaudière de cet appareil est en cuivre et d'un grand
poids, on en tirera parti comme vieille matière ».
Si cet atelier connut par la suite plusieurs usages, notamment de bureaux, puis de
magasin, il finit, à partir du début du XX° siècle, comme école et c'est ainsi que tous
les anciens apprentis d'Indret jusque dans les débuts des années 1970 (période
durant laquelle il fut rasé pour permettre l'implantation de nouveaux ateliers)
ont vécu pendant trois ans dans les murs de cette ancienne forerie. Peut-être
certains se souviennent-ils encore de cette plaque apposée sur le fronton ouest
de ce bâtiment où les quatre éléments (la terre, l'air, le feu et l'eau ont
contribué au forage de bien des canons pendant un demi-siècle.
Il est à noter que sur cette plaque le mot "perforant" est
devenu "pereorant". Alexandre Gascoin, ancien ingénieur en chef des Directions de
Travaux d'Indret, a ecrit dans les années 1950 qu'il devait s'agir d'une erreur du
graveur. (Cette plaque est toujours visible dans l'établissement).