Indret : Une fonderie de canons ( 1777 - 1828 )



Evolution de la Loire avant 1777




La croyance populaire veut qu'à Indret et dans ses environs, les digues qui relient cette ancienne île au milieu du fleuve à la rive sud (digues de La Montagne et de Roche-Ballue) aient été réalisées au moment de la création de la fonderie de canons en 1777.
Cette croyance est erronnée. Si ces digues ont effectivement contribué à la retenue d'eau qui devait faire mouvoir la forerie hydraulique, celles-ci existaient déjà près de 20 ans avant. Certes, elles durent être aménagées pour pouvoir assurer la fonction à laquelle on les destinait (élargissement et rehaussement de la voie, perçage d'écluses pour les mouvements d'eau).
Mais le comble de l'ironie, c'est que ces digues qui devaient permettre de réaliser un réservoir d'eau pour disposer d'une énergie hydraulique avaient été conçues et réalisées à l'origine pour envaser la partie du fleuve qui était englobée entre elles. Le lit du fleuve ainsi diminué devait déporter son courant dans un chenal plus étroit ( déporté sur la rive nord ) qui ne manquerait pas de se creuser ainsi, permettant ipso facto une navigation plus aisée pour les navires désireux de remonter à Nantes.
C'est cet ingénieur qui avait conçu ce dispositif qui sera rappelé pour effectuer les transformations nécessaires. Il optera donc pour une solution déportant la forerie dans le chenal principal ( Basse-Indre ) mais ne sera malheureusement pas écouté.
Mais n'anticipons pas et voyons d'abord pourquoi boucher une partie du fleuve.


Ce phénomène existe depuis bientôt deux millénaires. Au XIX° siècle, lors de la construction du port de St Nazaire, un ingénieur, M. Kerviller, chargé de creuser le bassin de Penhoët remarqua au cours des travaux une stratification régulière avec des couches alternées de sédiments fins de deux couleurs différentes qu'il attribua aux dépôts annuels du fleuve. Il constata en plusieurs endroits que 100 feuillets de ces couches mesuraient régulièrement 370 mm, soit 3,7 mm par an. Il se servit de cette base pour dater les objets qu'il trouva et vit une confirmation de son hypothèse lorsqu'il trouva à un peu plus de 6 mètres une pièce de monnaie à l'effigie d'un préfet d'Aquitaine ( Tétricus ) qui vécut à Bordeaux vers 270 après J.C ( 6000 mètres en 1600 ans donnent une moyenne annuelle de 3,75 mm). Cette méthode de datation est passée à la postérité sous le nom de chronomètre de Penhouët.
Au début du XVIII° siècle, la situation ne s'améliore pas. Un « houragan » de 1705 causa la perte de plusieurs navires dans l'estuaire. En 1719, un inventaire dénombrera 22 épaves dans cet estuaire qui ont provoqué ... 22 nouveaux bancs de sable. L'on constata alors que certains d'entre eux étaient systématiquement emportés par les flots durant l'hiver pour revenir à la belle saison. L'idée vint alors que le mal pouvait aussi venir de l'aval et non plus de l'amont. Il pouvait donc être judicieux de procéder à une évacuation naturelle des encombrements du lit par un resserrement du chenal principal. « On envoya sur les lieux un homme entendu de ces sortes d'ouvrage qui avoit examiné ceux que les hollandois sçavent si bien mettre en usage dans leur païs ».


Au milieu du XVIII° siècle, Gellée de Prémion, maire de Nantes, écrit «  Il n'y a pas 80 ans qu'on a vu construire sous nos murs des vaisseaux de 50 canons » alors qu'actuellement « à peine aujourd'huy les plus petits bateaux pêcheurs peuvent-ils faire librement la même route pendant quatre à cinq mois de l'année ».
Il écrit donc au Roi de France et à son Conseil pour faire part de ses craintes.
Après avoir fait remarquer que « leur port dépérit de plus en plus par le dépôt des eaux de Loire [...] ce qui rend leur port inaccessible aux bâtiments qui y entroient autrefois », chose inacceptable car ils sont désormais dans l'obligation « de faire conduire leurs marchandises par batteaux jusqu'au port de Paimbœuf à l'embouchure de la Loire ou cez bâtiments sont obligez de mouïller à neuf lieues de la ville de Nantes », il rapelle qu'une tentative en 1749 avait été effectuée pour creuser le lit du fleuve et qu'une somme de 40 000 livres avait été débloquée auparavant par les Etats de Bretagne. Seules 4 180 livres avaient été dépensées avant de renoncer aux travaux. En 1753, le Duc d'Aiguillon vint à Nantes prendre sa charge de Lieutenant-Général du comté nantais et de commandant en chef de toute la province et fut sensible aux arguments qui lui avaient été soumis pour remédier à la situation du port. Il appela alors Magin, ingénieur de la marine et parcourut avec lui le fleuve. De cette inspection, il en ressortit que les inconvénients de cette situation, s'ils étaient considérables, n'étaient toutefois pas sans ressources. L'espérance avait alors été émise que l'on pouvait « y apporter remède en réunissant dans un seul chenal les eaux qui en ont été séparées par les différents bras qui divisent la rivière ». L'an passé, les Etats de Bretagne avaient alloué une nouvelle somme de 40 000 livres pour ces travaux. Il demande donc au Roi d'approuver cette décision et de pouvoir bénéficier des 35 820 livres non dépensées lors de la première aide.
Cette demande fut couronnée de succès le 23 septembre 1755 et Magin pouvait se mettre au travail.


Il écrira plus tard : « Je remarquay que le volume des eaux qui y circulle d'une année à l'autre peut à peine entretenir la largeur de cent toises de chenal, à six pieds de profondeur, depuis Nantes jusqu'à Couëron; je cherchay le moyen qu'on pouvoit mettre surement le plan en usage pour retenir son lit beaucoup trop spacieux et la rivière à un chenal unique ».
Ce moyen, simple dans son principe, consistait à créer des digues artificielles ou des épis sur les berges entre Nantes et l'embouchure du fleuve pour contraindre le courant à se resserer et à créer par ailleurs dans les zones calmes des dépôts d'alluvions qui contribueraient eux aussi au rétrécissement du fleuve. Après avoir constaté que la zone comprise entre Bouguenais et Le Pellerin comportait de nombreuses îles au milieu du fleuve (îles Botty, Mindine, Gazay, Petit Massereau, Penot, Indret, Lamotte, Chartreau, Boucane, Pivin, Turmelière), que celles-ci n'étaient parfois séparées que de très courtes distances, il résolut de les relier par de petites digues pour former au milieu du fleuve une longue langue de rochers et de terre. Il perfectionna son système en y adjoignant notamment deux digues reliant Indret à la rive sud.
La première de ces digues située en amont de l'île ne consistait qu'en empierrage rejoignant Roche-Ballue et submersible lors de chaque marée haute. La seconde, sise au milieu de l'île, était plus haute mais restait submersible aux fortes marées de chaque mois. Ainsi, lors de chaque marée, la digue amont laissait le passage des eaux lors de la phase montante des flots alors que celle aval les retenait. La zone comprise entre elles devait inexorablement s'envaser très vite.
Ce projet devait se réaliser très rapidement puisqu'un document conservé aux Archives Municipales de Nantes et daté du 21 mars 1758 nous apprend que « que la digue qui a été faite entre l'île d'Indret et Boiseau ayant intercepté le très grand volume d'eau qui y passait, il s'est ammassé une grande quantité de sable le long de l'île Pivin, Mavotte et Carter ».
Le 28 juillet 1762, un procès-verbal stipule : « De là nous sommes passés à l'isle d'Indret [...] nous y avons vu et remarqué une grande digue qui traverse le canal de le dite isle à la côte du sud laquelle nous a paru très bien construite [...] que depuis les trois ou quatre ans derniers il a remarqué que les travaux qui ont été faits sur la rivière et surtout la digue qui intercepte l'eau qui passoit au canal du sud joignant la dite isle ont procuré dix pieds d'eau à la basse mer le long de la dite isle du côté du nord à prendre depuis la teste jusqu'à une petite chapelle qu'on nomme le petit hermitage [...] que le banc de sable qui fermoit le passage entre la dite isle et la Basse-Indre a totalement disparu [...] Nous avons aussi remarqué que la côte du sud depuis l'isle d'Indret jusqu'au Pellerin étoit entièrement desséchée ».
Durant l'été 1763, une vaste opération de bornement des nouveaux atterrissements créés fut effectuée. C'est ainsi que fut réalisé le premier relevé de la nouvelle configuration des lieux et qu'un plan fut établi à cet effet. Il est actuellement détenu par les Archives Municipales de Nantes.



Ainsi donc, les digues qui relient Indret à la rive sud du fleuve ont été créées vers 1757-1758, leur fonction étant de créer des retenues d'eau pour boucher une partie de la largeur du cours d'eau par accumulations de vases et de sable.
20 ans plus tard, ce seront ces mêmes digues, légèrement modifiées, que l'on destinera à assurer une forte retenue d'eau pour mouvoir une forerie hydraulique alors que le même Magin venait d'être chargé d'effectuer les travaux d'installation. Il s'évertuera à convaincre ses interlocuteurs de placer la forerie ailleurs mais ne sera pas écouté. Ce sera Toufaire, autre ingénieur qui prendra la suite.
Làs, les digues feront le travail pour lequel elles étaient destinées à l'origine et la forerie hydraulique déclinera très vite.