La croyance populaire veut qu'à Indret et dans ses environs,
les digues qui relient cette ancienne île au milieu du fleuve à la rive sud
(digues de La Montagne et de Roche-Ballue) aient été réalisées au moment de la
création de la fonderie de canons en 1777.
Cette croyance est erronnée. Si ces digues ont effectivement contribué à la
retenue d'eau qui devait faire mouvoir la forerie hydraulique, celles-ci
existaient déjà près de 20 ans avant. Certes, elles durent être aménagées pour
pouvoir assurer la fonction à laquelle on les destinait (élargissement et
rehaussement de la voie, perçage d'écluses pour les mouvements d'eau).
Mais le comble de l'ironie, c'est que ces digues qui devaient permettre de
réaliser un réservoir d'eau pour
disposer d'une énergie hydraulique avaient
été conçues et réalisées à l'origine pour envaser la partie du fleuve qui
était englobée entre elles. Le lit du fleuve ainsi diminué devait déporter
son courant dans un chenal plus étroit ( déporté sur la rive nord ) qui ne
manquerait pas de se creuser ainsi, permettant ipso facto une navigation
plus aisée pour les navires désireux de remonter à Nantes.
C'est cet ingénieur qui avait conçu ce dispositif qui sera rappelé pour
effectuer les transformations nécessaires. Il optera donc pour une solution
déportant la forerie dans le chenal principal ( Basse-Indre ) mais ne sera
malheureusement pas écouté.
Mais n'anticipons pas et voyons d'abord pourquoi boucher une partie du fleuve.
Ce phénomène existe depuis bientôt deux millénaires.
Au XIX° siècle, lors de la construction du port de St Nazaire, un ingénieur,
M. Kerviller, chargé de creuser le bassin de Penhoët remarqua au
cours des travaux une stratification régulière avec des couches alternées de
sédiments fins de deux couleurs différentes qu'il attribua aux dépôts
annuels du fleuve. Il constata en plusieurs endroits que 100 feuillets de
ces couches mesuraient régulièrement 370 mm, soit 3,7 mm par an. Il se
servit de cette base pour dater les objets qu'il trouva et vit une
confirmation de son hypothèse lorsqu'il trouva à un peu plus de 6 mètres une
pièce de monnaie à l'effigie d'un préfet d'Aquitaine ( Tétricus ) qui vécut
à Bordeaux vers 270 après J.C ( 6000 mètres en 1600 ans donnent une
moyenne annuelle de 3,75 mm). Cette méthode de datation est passée à la
postérité sous le nom de chronomètre de Penhouët.
Au début du XVIII° siècle, la situation ne s'améliore pas. Un « houragan »
de 1705 causa la perte de plusieurs navires dans l'estuaire. En 1719, un
inventaire dénombrera 22 épaves dans cet estuaire qui ont provoqué ... 22
nouveaux bancs de sable. L'on constata alors que certains d'entre eux
étaient systématiquement emportés par les flots durant l'hiver pour revenir
à la belle saison. L'idée vint alors que le mal pouvait aussi venir de l'aval
et non plus de l'amont. Il pouvait donc être judicieux de procéder à
une évacuation naturelle des encombrements du lit par un resserrement du
chenal principal. « On envoya sur les lieux un homme entendu de ces
sortes d'ouvrage qui avoit examiné ceux que les hollandois sçavent si bien
mettre en usage dans leur païs ».
Au milieu du XVIII° siècle, Gellée de Prémion, maire de
Nantes, écrit « Il n'y a pas 80 ans qu'on a vu construire sous nos
murs des vaisseaux de 50 canons » alors qu'actuellement « à peine
aujourd'huy les plus petits bateaux pêcheurs peuvent-ils faire librement la
même route pendant quatre à cinq mois de l'année ».
Il écrit donc au Roi de France et à son Conseil pour faire part de ses
craintes.
Après avoir fait remarquer que « leur port dépérit de plus en plus par le
dépôt des eaux de Loire [...] ce qui rend leur port inaccessible aux
bâtiments qui y entroient autrefois », chose inacceptable car ils sont
désormais dans l'obligation « de faire conduire leurs marchandises par
batteaux jusqu'au port de Paimbœuf à l'embouchure de la Loire ou cez
bâtiments sont obligez de mouïller à neuf lieues de la ville de Nantes »,
il rapelle qu'une tentative en 1749 avait été effectuée pour creuser le lit
du fleuve et qu'une somme de 40 000 livres avait été débloquée auparavant par
les Etats de Bretagne. Seules 4 180 livres avaient été dépensées avant
de renoncer aux travaux. En 1753, le Duc d'Aiguillon vint à Nantes prendre sa
charge de Lieutenant-Général du comté nantais et de commandant en chef de
toute la province et fut sensible aux arguments qui lui avaient été soumis pour
remédier à la situation du port. Il appela alors Magin, ingénieur de la
marine et parcourut avec lui le fleuve. De cette inspection, il en ressortit
que les inconvénients de cette situation, s'ils étaient considérables,
n'étaient toutefois pas sans ressources. L'espérance avait alors été émise
que l'on pouvait « y apporter remède en réunissant dans un seul
chenal les eaux qui en ont été séparées par les différents bras qui divisent
la rivière ». L'an passé, les Etats de Bretagne avaient
alloué une nouvelle somme de 40 000 livres pour ces travaux. Il demande
donc au Roi d'approuver cette décision et de pouvoir bénéficier des
35 820 livres non dépensées lors de la première aide.
Cette demande fut couronnée de succès le 23 septembre 1755 et Magin pouvait se mettre au travail.
Il écrira plus tard : « Je remarquay que le volume
des eaux qui y circulle d'une année à l'autre peut à peine entretenir la
largeur de cent toises de chenal, à six pieds de profondeur, depuis Nantes
jusqu'à Couëron; je cherchay le moyen qu'on pouvoit mettre surement le plan
en usage pour retenir son lit beaucoup trop spacieux et la rivière à un
chenal unique ».
Ce moyen, simple dans son principe, consistait à créer des digues
artificielles ou des épis sur les berges entre Nantes et l'embouchure du
fleuve pour contraindre le courant à se resserer et à créer par ailleurs
dans les zones calmes des dépôts d'alluvions qui contribueraient eux aussi
au rétrécissement du fleuve. Après avoir constaté que la zone comprise entre
Bouguenais et Le Pellerin comportait de nombreuses îles au milieu du fleuve
(îles Botty, Mindine, Gazay, Petit Massereau, Penot, Indret, Lamotte,
Chartreau, Boucane, Pivin, Turmelière), que celles-ci n'étaient parfois
séparées que de très courtes distances, il résolut de les relier par de
petites digues pour former au milieu du fleuve une longue langue de rochers
et de terre. Il perfectionna son système en y adjoignant notamment deux
digues reliant Indret à la rive sud.
La première de ces digues située en amont de l'île ne consistait qu'en
empierrage rejoignant Roche-Ballue et submersible lors de chaque marée haute.
La seconde, sise au milieu de l'île, était plus haute mais restait
submersible aux fortes marées de chaque mois. Ainsi, lors de chaque marée,
la digue amont laissait le passage des eaux lors de la phase montante des
flots alors que celle aval les retenait. La zone comprise entre elles
devait inexorablement s'envaser très vite.
Ce projet devait se réaliser très rapidement puisqu'un document conservé aux
Archives Municipales de Nantes et daté du 21 mars 1758 nous apprend que
« que la digue qui a été faite entre l'île d'Indret et
Boiseau
ayant intercepté le très grand volume d'eau qui y passait, il s'est ammassé
une grande quantité de sable le long de l'île Pivin, Mavotte et Carter ».
Le 28 juillet 1762, un procès-verbal stipule : « De là nous
sommes passés à l'isle d'Indret [...] nous y avons vu et remarqué une
grande digue qui traverse le canal de le dite isle à la côte du sud laquelle
nous a paru très bien construite [...] que depuis les trois ou quatre
ans derniers il a remarqué que les travaux qui ont été faits sur la rivière
et surtout la digue qui intercepte l'eau qui passoit au canal du sud
joignant la dite isle ont procuré dix pieds d'eau à la basse mer le long de
la dite isle du côté du nord à prendre depuis la teste jusqu'à une petite
chapelle qu'on nomme le petit hermitage [...] que le banc de sable qui
fermoit le passage entre la dite isle et la Basse-Indre a totalement disparu
[...] Nous avons aussi remarqué que la côte du sud depuis
l'isle d'Indret jusqu'au Pellerin étoit entièrement desséchée ».
Durant l'été 1763, une vaste opération de bornement des nouveaux
atterrissements créés fut effectuée. C'est ainsi que fut réalisé le premier
relevé de la nouvelle configuration des lieux et qu'un plan fut établi à cet
effet. Il est actuellement détenu par les Archives Municipales de Nantes.
Ainsi donc, les digues qui relient Indret à la rive sud du
fleuve ont été créées vers 1757-1758, leur fonction étant de créer des
retenues d'eau pour boucher une partie de la largeur du cours d'eau par
accumulations de vases et de sable.
20 ans plus tard, ce seront ces mêmes digues, légèrement modifiées, que l'on
destinera à assurer une forte retenue d'eau pour mouvoir une forerie
hydraulique alors que le même Magin venait d'être chargé d'effectuer les
travaux d'installation. Il s'évertuera à convaincre ses interlocuteurs de
placer la forerie ailleurs mais ne sera pas écouté. Ce sera Toufaire, autre
ingénieur qui prendra la suite.
Làs, les digues feront le travail pour lequel elles étaient destinées à
l'origine et la forerie hydraulique déclinera très vite.