Indret : Une fonderie de canons ( 1777 - 1828 )



Lieu de fabrications stratégiques




Indret était une île située en Loire, une dizaine de kilomètres en aval de Nantes et donc à quelques encâblures de l'océan. Sa position était une place forte qui protégeait l'accès à la capitale namnète par les voies maritimes et fluviales. Au moment de la contre-révolution, les forces royalistes de Vendée en étaient conscientes et pour prendre Nantes estimèrent bon de prendre possession d'Indret auparavant. Mais Indret était également surveillé à un kilomètre et demi de distance par des troupes républicaines stationnées au château d'Aux où se trouvait également Sigisbert Hugo (père du poète). Il fallait donc d'abord assurer la défense de ces deux postes.

Dès le début de la contre-révolution, soit en mars 1793, l'inquiétude commence à poindre à propos du sort d'Indret. Le 13, Favereau qui assume la direction de la fonderie écrit aux responsables départementaux : «  Je vous envoye seulement par la barge du citoyen Hureau, canonnier, deux caronades avec leurs affûts et châssis et trente paquets de mitraille [...] Je n'ai pas osé vous en envoyer une plus grande quantité parce qu'on m'a rapporté icy que Nantes est aussi en insurrection. Quelques habitants de Couaron, Brains, Bouguenay se sont réfugiés à Indret, je les aiderai de tout mon pouvoir, mes dispositions sont de nature à faire une vigoureuse résistance et je doute qu'ils veulent en tâter.
Je viens d'organiser en garde nationale les ouvriers de cette fonderie, le poste de chacun est désigné et tous promettent de bien se défendre en cas d'attaque.
Je vous serai obligé de me donner quelques détails sur votre position, car icy on grossit extraordinairement les choses, et cela peut influencer sur les esprits 
».

Moins d'une semaine plus tard, des problèmes d'intendance pour la nourriture et le couchage qui soulèvent des mouvements de grogne parmi les défenseurs de l'île se posent. Le commandant de la garnison réitère ses craintes : «  je ne vous dissimulerai pas qu'il est urgent d'avoir de la troupe dans cette isle pour s'opposer à l'invasion des brigands qui ne s'exposeront pas à venir étant informés qu'il y a une garde sûre ».

Le 11 avril, la menace se précise. Favereau nous informe des progrès de la contre-révolution dans le secteur : « En ce moment arrivent à Indret plusieurs habitants qui se réfugient de Saint Jean de Boizeau et du Pellerin où les brigands viennent de se porter ; ils sont maintenant au Pellerin et cherchent à s'emparer des canons qui sont à bord d'un bâtiment aux quatre amarres du Pellerin. Ne serait-il pas possible de faire descendre un ponton armé de canons pour balayer ces gueux là, et empêcher cet enlèvement qui devient conséquent dans ces circonstances. On pouvoit également faire passer un détachement par Indret qui se joindrait avec une partie de celui qui est icy et des bons citoyens de Boiseaux, on pourroit les chasser également par terre ». Le destinataire de la lettre éprouvera le besoin de mentionner en marge du courrier reçu : «  Répondre le même jour que l'on enverra demain matin un ponton armé et monté par 50 hommes et que dans le même jour, s'il est possible il partira une force armée sinon le lendemain ».

Quatre jours plus tard, une partie de la garnison indretoise ( 60 hommes plus quelqus ouvriers ) fera sa première sortie pour tenter d'intercepter des forces ennemies. Celle-ci se soldera par un échec puisqu'elle se terminera par :

l'arrestation de 4 hommes dont un seulement était armé d'« un pistolet chargé de trois postes cylindriques, dans ses poches plusieurs balles et bidons et une pierre à pistolet, une poire à poudre pleine de poudre mêlée et un couteau, un fusil chargé d'une balle et du plomb ».
la saisie d'« un outil de charpentier nommé Besaigne dont nous nous sommes saisis ».
une escarmouche avec une vingtaine d'hommes qui lâchèrent une simple décharge sur eux.

Les jours continueront à s'écouler assez paisiblement ponctués par les éternels problèmes d'intendance et les sentiments de révolte inhérents parmi la troupe. Pourtant les mesures défensives s'intensifient. Un mois après l'escarmouche évoquée, nous apprenons que : «  on a envoyé des troupes à Indret pour empêcher qu'un établissement aussy important tombe entre les mains des insurgés. On y a levé des redoutes, des retranchements enfin on fait tout ce qu'on croit convenable pour bien défendre un poste aussi essentiel pour Nantes où on ne pourroit plus rien recevoir par mer si les insurgés en étaient les maîtres  ».

Finalement, ce ne sera que le 10 août que l'attaque contre le château d'Aux aura lieu. Dès le lendemain Favereau en fera un compte-rendu détaillé. Malgré le succès incontestable obtenu par les forces républicaines, les craintes et les rumeurs ne cessèrent pas pour autant. Ainsi, le surlendemain de l'attaque, le commandant de la place de Paimbœuf prévient son collègue indretois d'une nouvelle ataque imminente : « Je m'empresse de vous avertir que le château d'eaux (sic) doit être attaqué demain avec de plus grandes forces et du canon, je viens d'en être instruit par voie sûre. Aujourd'hui, ils arrangeroient leurs canons et ils ramasseroient du monde [...] tenez-vous sur vos gardes, pour moi, je les attends ».

Et bien que cette mise ne garde se soit avéré non fondée, quatre jours plus tard, notre interlocutur renouvelle ses craintes : « Je crois devoir encore vous instruire que vous ayés à vous tenir plus que jamais sur vos gardes, les brigands doivent se porter pour la troisième fois sur le château d'Aux. Mon espion qui est sûre m'a rapporté ce matin que Charrette a écrit qu'il viendroit joindre La Cathelinière avec du canon pour enlever ce poste ; qu'il amèneroit son armée et qu'avec ces deux armées jointes ensemble, il comptoit bien s'emparer d'Indret ; qu'ensuite il marcheroit sur Nantes en se joignant à la garde armée de Piron ; qu'enfin dans trois semaines tout seroit fini. Je suis aussi instruit que 17 paroisses de la côte du nord n'attendent que le moment de la prise du château d'Aux pour se soulever et se porter sur Nantes. Vous voyés combien il est nécessaire de surveillance et combien les brigands attachent d'importance à votre poste. Veuillés en instruire Nantes c'est-à-dire le général et prendre avec lui les plus grandes mesures ; que dis-je ? Je ne fais pas attention que votre prudence et vos talents vous dicteront beaucoup mieux que moi le parti à prendre dans ces circonstances ».

Ces craintes demeureront exagérées. L'attaque contre le château d'Aux avait échoué et ne pourrait se renouveler car les autorités révolutionnaires avaient pris des mesures draconiennes pour enrayer toute nouvelle tentative et ramener une situation plus stable dans la région. Les " colonnes infernales " de Turreau allaient déferler sur la région. De Sourdeval en annonce ainsi l'arrivée au Minsitre de la Marine : « mais nous nous flattons que la brave garnison de Mayence qui vient d'arriver dans notre ville purgera bientôt le pays de ces hordes de brigands ».



Le côté stratégique d'Indret s'illustre également au travers des ses fabrications. Un exemple nous en est donné lors de la défaite de Napoéon à Waterloo. A son retour de l'île d'Elbe en mars 1815, il reprit en mains les rênes du pays. C'est la période appelée les Cent Jours, Waterloo n'aura lieu que le 18 juin. L'avenir du pays demeure toutefois incertain. Plusieurs tentatives eurent lieu sous l'impulsion des royalistes pour contrecarrer cette prise de contrôle. Des paysans se sont de nouveau soulevés en Vendée vers la mi-mai sous l'impulsion de leurs prêtres et du Duc de Bourbon. Il est donc nécessaire de prendre certaines précautions.

Aussi le Ministre de la Marine, le 25 mai ordonne-t-il de « faire évacuer sur Nantes les canons et les munitions qui existent à Indret afin de les mettre en sûreté dans cette ville ». Cette décision est prise car le Ministre de la Guerre a décidé de mettre Nantes en état de défense et de disposer pour cela de toute artillerie disponible. Comme il convient pour le Ministre de la Marine d'assurer « la conservation de l'isle d'Indret », il importe de se concerter avec les autorités afin de ne pas démunir cette position d'autant, ajoute-t- il : « que cette isle a été mise pendant la dernière guerre dans un tel état de défense que les ennemis n'ont jamais pu y pénétrer et qu'il serait à désirer qu'il en fut de même dans les circonstances actuelles  ».

Dans les heures qui suivirent la réception de cette missive, l'évacuation est commencée :« 72 pièces depuis le 8 jusqu'au 4 plus 4 caronades de 12 en bronze ; je fais des dispositions pour évacuer sur Lorient ce qu'il est possible de bouches à feu qui lui sont destinées et le reste sur Nantes. Tous les projectiles le seront aussi et conduits au château. Quant aux 16 canons de 48 et aux 16 mortiers M. le comte Charpentier [...] a ordonné au directeur d'artillerie de les faire enlever pour les loger dans son parc ».

Les menaces sur la région sont suffisamment importantes pour que Petit, Directeur de la fonderie, soit « entravé par un manque de moyens et surtout par la difficulté de mettre les batteries à plain sur les rives de la Loire sous la protection d'une force qui les empêcherait de devenir la proie des insurgés, s'ils tentaient jamais un coup de main  ». En fait, Petit souhaite disposer d'un détachement stationnaire sur le lieu de son usine en plus d'un plan de défense pour la ville de Nantes et de ses environs. Il obtiendra un détachement de sapeurs pour réaliser des fortifications et des retranchements sur l'île. En outre, un détachement de 50 militaires retraités tiendra garnison à Indret, nous sommes alors 3 jours avant Waterloo.

Finalement, les canons reviendront sur leur point de départ juste au moment où ... ils devront repartir.



Les choses changent alors. Le 3 juillet, une suspension d'armes est signée ; l'armée française doit se retirer au sud de la Loire. Or Indret est une île en Loire : Indret est-il au nord ou au sud du fleuve ? Cette simple question va entraîner une suite inattendue d'actions.

L'Empire n'existe plus, aussi dès le 23 juillet, Petit demande que soit mis à sa disposition un pavillon blanc en échange du tricolore qu'il détient. L'histoire ne nous dit pas si 3 jours plus tard ce pavillon fut hissé lorsqu'un canot ayant à son bord des officiers anglais en tournée d'inspection descendit la Loire, elle se contente de nous informer que le canot fut salué de 6 coups de canon.

Le 11 août, le Ministre demande à ce que soient retirés d'Indret pour être mis en lieu sûr : « les modèles en bronze et les cylindres à calibre et en général toutes les pièces en cuivre et autres de grande valeur qui peuvent se déplacer facilement ». Le château de Nantes, de nouveau, semble être à ses yeux l'endroit le plus sûr, sauf si Paimbœuf « ne vous paroisse en raison de sa position, offrir plus de moyens de sûreté ». En tout état de cause, prend-il la peine de le préciser de façon manuscrite et en P.S. : « Il est convenable que cette opération se fasse avec précaution et sans éclat ».

Cette dépêche arrivera trois jours plus tard à Nantes et mettra dans l'embarras le commissaire. En effet, le 9 août, le Ministre de la Guerre avait enjoint d'évacuer les armes et munitions qui avaient été stockées dans le château de Nantes au mois de mai. Le château est, en effet, sur la rive droite du fleuve et il convenait de respecter les termes du traité de suspension d'armes sous peine de voir celles-ci confisquées. Ces armes étaient en cours de déchargement à Indret. Car, dit-il : « je l'y considère comme hors des limites assignées aux troupes alliées, car cet établissement est beaucoup plus éloigné de la rive droite que de la gauche à laquelle il tient même par une digue coupée par des écluses ».

Malheureusement, les moyens de transport et de levage étaient réduits pour effectuer de tels mouvements rapidement, or Indret en disposait. Toutes les grosses pièces se trouvent donc actuellement sur cette petite île considérée comme un « point inviolable » par le commissaire nantais. Pour les autres matériels, le port de Paimbœuf semble être un abri suffisant. Hélas soupire-t-il, les recommandations de discrétion n'ont pas été suivies jusqu'à présent. Au contraire, les mouvements effectués l'ont été au vu et au su de tout le monde car : « ceux qui ont eu lieu en ont eu nécessairement beaucoup, parce que nous avons été avertis trop tard et qu'il était impossible d'évacuer tout ce que la guerre et la marine avaient à mouvoir avec tant de précipitation sans être remarqués et la chose l'a été d'autant mieux que cette évacuation s'est opérée avec des généraux prussiens dans la ville devançant leurs corps pour traiter avec l'autorité municipale ».

Le 17, Petit se pose la question de savoir si les objets à envoyer à Paimbœuf y seront en sécurité. Il propose alors de les expédier soit à Noirmoutier soit sur l'île d'Yeu, à l'abri de toute convoitise des troupes alliées, ce qui n'est pas du tout l'avis de de Sourdeval. En effet, celui-ci affirme que « cette ville est incontestablement sur la rive gauche » et ne souffre donc aucun doute quant à son inviolabilité alors que ces deux îles n'offrent pas les mêmes garanties : « En effet ne peut-il pas arriver des accidents pendant le transport ? Ne peut-on pas craindre que ces modèles, par leur nature et leur valeur, n'excitent un coup de main par cupidité et peut-être par jalousie ? Ils en sont à l'abri à Paimbœuf et je crois qu'il est prudent de les y déposer »

Le lendemain, le Ministre rappelle son souhait de voir mettre à l'abri les matériels d'Indret car ils ne les estime pas « comme parfaitement en sûreté ». Il importe de définir rapidement un lieu «  dont la situation sur la rive gauche de la Loire ne puisse pas être contestée ». De Sourdeval adoptera l'opinion ministérielle pour retenir Paombœuf où sont déjà parvenus quelques modèles.

Bien qu'une dizaine de pièces soient réservées pour la défense d'Indret, Petit s'inquiète de savoir s'il doit les expédier sur Paimbœuf ainsi que les 46 barils de poudre et les canons de 48 extrêmement lourds à manœuvrer. Et début septembre, 84 bouches à feu auront rejoint la tere paimblotine ainsi que « 40 et quelques tonneaux en différentes pièces de canons  ».

Le 13 septembre, Petit insiste pour que poudres, projectiles, etc., soient expédiées sur Paimbœuf. Le même sort doit être fait pour les mortiers et canons de 48 dès que « cette mesure sera jugée nécessaire d'après les prétentions que manifestent les généraux étrangers ». Mais il convient de faire vite car écrit-il : « On vient de me dire que Basse-Indre recevrait ce matin 80 et quelques cavaliers prussiens, il y en a déjà quelques-uns de rendus dans cette commune  ».

Douze jours plus tard, « les troupes alliées s'étant mises hier en marche pour sortir du département », de Sourdeval souhaite faire réintégrer tous les matériels sur Indret. Il précise que «  MM. les généraux des troupes alliées n'ont élevé aucune discussion sur les limites qui ont du être respectivement posées et que s'il y avait eu des incertitudes sur Indret, je ne forme pas le plus léger doute, qu'elles cessent ».

Comble d'ironie pour cette fin d'histoire.

Le 6 octobre, le Ministre, plein de bon sens, fait observer qu'il est inutile et fort coûteux de faire revenir sur Indret des armements qui vont être expédiés sous peu dans les différents ports d'autant que la liste est longue :

6 mortiers de 12 et 16 canons de 48 devaient être livrés au département de la Guerre
62 canons de 36, 14 crapaudines et 30 boulons pour caronades de 24 pour Cherbourg
10 mortiers de 12 pour Brest
3 mortiers de 12, 228 canons de divers calibres, 64 caronades de 24, 4 caronades en bronze de 12, 57 crapaudines et 41 boulons pour caronades de 24 pour Lorient

Le 20 du même mois, revenant sur son courrier précédent et voyant « qu'il y auroit de graves inconvénients à laisser à Paimbœuf et dans les dépôts formés sur la rive gauche de la Loire  » les bouches à feu, il approuve la décision de ramener les pièces sur Indret en attendant de trouver les navires nécessaires à leur transport.