Indret était une île située en Loire, une dizaine de
kilomètres en aval de Nantes et donc à quelques encâblures de l'océan. Sa
position était une place forte qui protégeait l'accès à la capitale namnète
par les voies maritimes et fluviales. Au moment de la contre-révolution, les
forces royalistes de Vendée en étaient conscientes et pour prendre Nantes
estimèrent bon de prendre possession d'Indret auparavant. Mais Indret était
également surveillé à un kilomètre et demi de distance par des troupes
républicaines stationnées au château d'Aux où se trouvait également
Sigisbert Hugo (père du poète). Il fallait donc d'abord assurer la défense de ces deux
postes.
Dès le début de la contre-révolution, soit en mars 1793, l'inquiétude
commence à poindre à propos du sort d'Indret. Le 13, Favereau qui assume la
direction de la fonderie écrit aux responsables départementaux : «
Je vous envoye seulement par la barge du citoyen Hureau, canonnier, deux
caronades avec leurs affûts et châssis et trente paquets de mitraille
[...] Je n'ai pas osé vous en envoyer une plus grande quantité
parce qu'on m'a rapporté icy que Nantes est aussi en insurrection. Quelques
habitants de Couaron, Brains, Bouguenay se sont réfugiés à Indret, je les
aiderai de tout mon pouvoir, mes dispositions sont de nature à faire une
vigoureuse résistance et je doute qu'ils veulent en tâter.
Je viens d'organiser en garde nationale les ouvriers de cette fonderie, le
poste de chacun est désigné et tous promettent de bien se défendre en cas
d'attaque.
Je vous serai obligé de me donner quelques détails sur votre position, car
icy on grossit extraordinairement les choses, et cela peut influencer sur
les esprits ».
Moins d'une semaine plus tard, des problèmes d'intendance pour la nourriture
et le couchage qui soulèvent des mouvements de grogne parmi les défenseurs
de l'île se posent. Le commandant de la garnison réitère ses craintes : «
je ne vous dissimulerai pas qu'il est urgent d'avoir de la troupe dans
cette isle pour s'opposer à l'invasion des brigands qui ne s'exposeront pas
à venir étant informés qu'il y a une garde sûre ».
Le 11 avril, la menace se précise. Favereau nous informe des progrès de la
contre-révolution dans le secteur : « En ce moment arrivent à
Indret plusieurs habitants qui se réfugient de Saint Jean de Boizeau et du
Pellerin où les brigands viennent de se porter ; ils sont maintenant au
Pellerin et cherchent à s'emparer des canons qui sont à bord d'un bâtiment
aux quatre amarres du Pellerin. Ne serait-il pas possible de faire descendre
un ponton armé de canons pour balayer ces gueux là, et empêcher cet
enlèvement qui devient conséquent dans ces circonstances. On pouvoit
également faire passer un détachement par Indret qui se joindrait avec une
partie de celui qui est icy et des bons citoyens de Boiseaux, on pourroit
les chasser également par terre ». Le destinataire de la lettre
éprouvera le besoin de mentionner en marge du courrier reçu : «
Répondre le même jour que l'on enverra demain matin un ponton armé et monté
par 50 hommes et que dans le même jour, s'il est possible il partira une
force armée sinon le lendemain ».
Quatre jours plus tard, une partie de la garnison indretoise ( 60 hommes
plus quelqus ouvriers ) fera sa première sortie pour tenter d'intercepter
des forces ennemies. Celle-ci se soldera par un échec puisqu'elle se
terminera par :
l'arrestation de 4 hommes dont un seulement était armé d'« un
pistolet chargé de trois postes cylindriques, dans ses poches
plusieurs balles et bidons et une pierre à pistolet, une poire à poudre
pleine de poudre mêlée et un couteau, un fusil chargé d'une balle et du
plomb ».
la saisie d'« un outil de charpentier nommé Besaigne dont
nous nous sommes saisis ».
une escarmouche avec une vingtaine d'hommes qui lâchèrent une simple
décharge sur eux.
Les jours continueront à s'écouler assez paisiblement
ponctués par les éternels problèmes d'intendance et les sentiments de
révolte inhérents parmi la troupe. Pourtant les mesures défensives
s'intensifient. Un mois après l'escarmouche évoquée, nous apprenons que : «
on a envoyé des troupes à Indret pour empêcher qu'un
établissement aussy important tombe entre les mains des insurgés. On y a
levé des redoutes, des retranchements enfin on fait tout ce qu'on croit
convenable pour bien défendre un poste aussi essentiel pour Nantes où on ne
pourroit plus rien recevoir par mer si les insurgés en étaient les maîtres
».
Finalement, ce ne sera que le 10 août que l'attaque contre le château d'Aux
aura lieu. Dès le lendemain Favereau en fera un compte-rendu détaillé.
Malgré le succès incontestable obtenu par les forces républicaines, les
craintes et les rumeurs ne cessèrent pas pour autant. Ainsi, le surlendemain
de l'attaque, le commandant de la place de Paimbœuf prévient son collègue
indretois d'une nouvelle ataque imminente : « Je m'empresse de
vous avertir que le château d'eaux (sic) doit être attaqué
demain avec de plus grandes forces et du canon, je viens d'en être instruit
par voie sûre. Aujourd'hui, ils arrangeroient leurs canons et ils ramasseroient
du monde [...] tenez-vous sur vos gardes, pour
moi, je les attends ».
Et bien que cette mise ne garde se soit avéré non fondée, quatre jours plus
tard, notre interlocutur renouvelle ses craintes : « Je crois
devoir encore vous instruire que vous ayés à vous tenir plus que jamais sur
vos gardes, les brigands doivent se porter pour la troisième fois sur le
château d'Aux. Mon espion qui est sûre m'a rapporté ce matin que Charrette a
écrit qu'il viendroit joindre La Cathelinière avec du canon pour enlever ce
poste ; qu'il amèneroit son armée et qu'avec ces deux armées jointes
ensemble, il comptoit bien s'emparer d'Indret ; qu'ensuite il marcheroit sur
Nantes en se joignant à la garde armée de Piron ; qu'enfin dans trois
semaines tout seroit fini. Je suis aussi instruit que 17 paroisses de la
côte du nord n'attendent que le moment de la prise du château d'Aux pour se
soulever et se porter sur Nantes. Vous voyés combien il est nécessaire de
surveillance et combien les brigands attachent d'importance à votre poste.
Veuillés en instruire Nantes c'est-à-dire le général et prendre avec lui les
plus grandes mesures ; que dis-je ? Je ne fais pas attention que votre
prudence et vos talents vous dicteront beaucoup mieux que moi le parti à
prendre dans ces circonstances ».
Ces craintes demeureront exagérées. L'attaque contre le château d'Aux avait
échoué et ne pourrait se renouveler car les autorités révolutionnaires
avaient pris des mesures draconiennes pour enrayer toute nouvelle tentative
et ramener une situation plus stable dans la région. Les " colonnes
infernales " de Turreau allaient déferler sur la région. De Sourdeval en
annonce ainsi l'arrivée au Minsitre de la Marine : « mais nous
nous flattons que la brave garnison de Mayence qui vient d'arriver dans
notre ville purgera bientôt le pays de ces hordes de brigands ».
Le côté stratégique d'Indret s'illustre également au
travers des ses fabrications. Un exemple nous en est donné lors de la
défaite de Napoéon à Waterloo. A son retour de l'île d'Elbe en mars 1815, il
reprit en mains les rênes du pays. C'est la période appelée les Cent Jours,
Waterloo n'aura lieu que le 18 juin. L'avenir du pays demeure toutefois
incertain. Plusieurs tentatives eurent lieu sous l'impulsion des royalistes
pour contrecarrer cette prise de contrôle. Des paysans se sont de nouveau
soulevés en Vendée vers la mi-mai sous l'impulsion de leurs prêtres et du
Duc de Bourbon. Il est donc nécessaire de prendre certaines précautions.
Aussi le Ministre de la Marine, le 25 mai ordonne-t-il de « faire
évacuer sur Nantes les canons et les munitions qui existent à Indret afin de
les mettre en sûreté dans cette ville ». Cette décision est
prise car le Ministre de la Guerre a décidé de mettre Nantes en état de
défense et de disposer pour cela de toute artillerie disponible. Comme il
convient pour le Ministre de la Marine d'assurer « la
conservation de l'isle d'Indret », il importe de se concerter
avec les autorités afin de ne pas démunir cette position d'autant, ajoute-t-
il : « que cette isle a été mise pendant la dernière guerre dans
un tel état de défense que les ennemis n'ont jamais pu y pénétrer et qu'il
serait à désirer qu'il en fut de même dans les circonstances actuelles
».
Dans les heures qui suivirent la réception de cette missive, l'évacuation
est commencée :« 72 pièces depuis le 8 jusqu'au 4 plus 4
caronades de 12 en bronze ; je fais des dispositions pour évacuer sur
Lorient ce qu'il est possible de bouches à feu qui lui sont destinées et le
reste sur Nantes. Tous les projectiles le seront aussi et conduits au
château. Quant aux 16 canons de 48 et aux 16 mortiers M. le comte
Charpentier [...] a ordonné au directeur d'artillerie de les
faire enlever pour les loger dans son parc ».
Les menaces sur la région sont suffisamment importantes pour que Petit,
Directeur de la fonderie, soit « entravé par un manque de
moyens et surtout par la difficulté de mettre les batteries à plain sur les
rives de la Loire sous la protection d'une force qui les empêcherait de
devenir la proie des insurgés, s'ils tentaient jamais un coup de main
». En fait, Petit souhaite disposer d'un détachement stationnaire sur
le lieu de son usine en plus d'un plan de défense pour la ville de Nantes et
de ses environs. Il obtiendra un détachement de sapeurs pour réaliser des
fortifications et des retranchements sur l'île. En outre, un détachement de
50 militaires retraités tiendra garnison à Indret, nous sommes alors 3 jours
avant Waterloo.
Finalement, les canons reviendront sur leur point de départ juste au moment
où ... ils devront repartir.
Les choses changent alors. Le 3 juillet, une suspension
d'armes est signée ; l'armée française doit se retirer au sud de la Loire.
Or Indret est une île en Loire : Indret est-il au nord ou au sud du fleuve ?
Cette simple question va entraîner une suite inattendue d'actions.
L'Empire n'existe plus, aussi dès le 23 juillet, Petit demande que soit mis
à sa disposition un pavillon blanc en échange du tricolore qu'il détient.
L'histoire ne nous dit pas si 3 jours plus tard ce pavillon fut hissé
lorsqu'un canot ayant à son bord des officiers anglais en tournée
d'inspection descendit la Loire, elle se contente de nous informer que le
canot fut salué de 6 coups de canon.
Le 11 août, le Ministre demande à ce que soient retirés d'Indret pour être
mis en lieu sûr : « les modèles en bronze et les cylindres à
calibre et en général toutes les pièces en cuivre et autres de grande valeur
qui peuvent se déplacer facilement ». Le château de Nantes, de
nouveau, semble être à ses yeux l'endroit le plus sûr, sauf si Paimbœuf
« ne vous paroisse en raison de sa position, offrir plus de
moyens de sûreté ». En tout état de cause, prend-il la peine de
le préciser de façon manuscrite et en P.S. : « Il est convenable
que cette opération se fasse avec précaution et sans éclat ».
Cette dépêche arrivera trois jours plus tard à Nantes et mettra dans
l'embarras le commissaire. En effet, le 9 août, le Ministre de la Guerre
avait enjoint d'évacuer les armes et munitions qui avaient été stockées dans
le château de Nantes au mois de mai. Le château est, en effet, sur la rive
droite du fleuve et il convenait de respecter les termes du traité de
suspension d'armes sous peine de voir celles-ci confisquées. Ces armes
étaient en cours de déchargement à Indret. Car, dit-il : « je l'y
considère comme hors des limites assignées aux troupes alliées, car cet
établissement est beaucoup plus éloigné de la rive droite que de la gauche à
laquelle il tient même par une digue coupée par des écluses ».
Malheureusement, les moyens de transport et de levage étaient réduits pour
effectuer de tels mouvements rapidement, or Indret en disposait. Toutes les
grosses pièces se trouvent donc actuellement sur cette petite île considérée
comme un « point inviolable » par le commissaire
nantais. Pour les autres matériels, le port de Paimbœuf semble être un
abri suffisant. Hélas soupire-t-il, les recommandations de discrétion n'ont
pas été suivies jusqu'à présent. Au contraire, les mouvements effectués
l'ont été au vu et au su de tout le monde car : « ceux qui ont eu
lieu en ont eu nécessairement beaucoup, parce que nous avons été avertis
trop tard et qu'il était impossible d'évacuer tout ce que la guerre et la
marine avaient à mouvoir avec tant de précipitation sans être remarqués et
la chose l'a été d'autant mieux que cette évacuation s'est opérée avec des
généraux prussiens dans la ville devançant leurs corps pour traiter avec
l'autorité municipale ».
Le 17, Petit se pose la question de savoir si les objets à envoyer à
Paimbœuf y seront en sécurité. Il propose alors de les expédier soit à
Noirmoutier soit sur l'île d'Yeu, à l'abri de toute convoitise des troupes
alliées, ce qui n'est pas du tout l'avis de de Sourdeval. En effet, celui-ci
affirme que « cette ville est incontestablement sur la rive
gauche » et ne souffre donc aucun doute quant à son
inviolabilité alors que ces deux îles n'offrent pas les mêmes garanties :
« En effet ne peut-il pas arriver des accidents pendant le
transport ? Ne peut-on pas craindre que ces modèles, par leur nature et leur
valeur, n'excitent un coup de main par cupidité et peut-être par jalousie ?
Ils en sont à l'abri à Paimbœuf et je crois qu'il est prudent de les y
déposer »
Le lendemain, le Ministre rappelle son souhait de voir mettre à l'abri les
matériels d'Indret car ils ne les estime pas « comme parfaitement
en sûreté ». Il importe de définir rapidement un lieu «
dont la situation sur la rive gauche de la Loire ne puisse pas être
contestée ». De Sourdeval adoptera l'opinion ministérielle pour
retenir Paombœuf où sont déjà parvenus quelques modèles.
Bien qu'une dizaine de pièces soient réservées pour la défense d'Indret,
Petit s'inquiète de savoir s'il doit les expédier sur Paimbœuf ainsi
que les 46 barils de poudre et les canons de 48 extrêmement lourds à
manœuvrer. Et début septembre, 84 bouches à feu auront rejoint la tere
paimblotine ainsi que « 40 et quelques tonneaux en différentes
pièces de canons ».
Le 13 septembre, Petit insiste pour que poudres, projectiles, etc., soient
expédiées sur Paimbœuf. Le même sort doit être fait pour les mortiers
et canons de 48 dès que « cette mesure sera jugée nécessaire
d'après les prétentions que manifestent les généraux étrangers ».
Mais il convient de faire vite car écrit-il : « On vient de me
dire que Basse-Indre recevrait ce matin 80 et quelques cavaliers prussiens,
il y en a déjà quelques-uns de rendus dans cette commune ».
Douze jours plus tard, « les troupes alliées s'étant mises hier
en marche pour sortir du département », de Sourdeval souhaite
faire réintégrer tous les matériels sur Indret. Il précise que «
MM. les généraux des troupes alliées n'ont élevé aucune discussion sur les
limites qui ont du être respectivement posées et que s'il y avait eu des
incertitudes sur Indret, je ne forme pas le plus léger doute, qu'elles
cessent ».
Comble d'ironie pour cette fin d'histoire.
Le 6 octobre, le Ministre, plein de bon sens, fait observer qu'il est inutile
et fort coûteux de faire revenir sur Indret des armements qui vont être
expédiés sous peu dans les différents ports d'autant que la liste est
longue :
6 mortiers de 12 et 16 canons de 48 devaient être livrés au
département de la Guerre
62 canons de 36, 14 crapaudines et 30 boulons pour caronades de
24 pour Cherbourg
10 mortiers de 12 pour Brest
3 mortiers de 12, 228 canons de divers calibres, 64 caronades de
24, 4 caronades en bronze de 12, 57 crapaudines et 41 boulons pour caronades
de 24 pour Lorient
Le 20 du même mois, revenant sur son courrier précédent et voyant
« qu'il y auroit de graves inconvénients à laisser à
Paimbœuf et dans les dépôts formés sur la rive gauche de la Loire
» les bouches à feu, il approuve la décision de ramener
les pièces sur Indret en attendant de trouver les navires nécessaires à
leur transport.